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A.    Le régime seigneurial   2

1.     Le territoire et la société sous le régime seigneurial 2

La croissance de la population  3

L’ordre social dans les paroisses  4

La vie sociale  5

Cour de justice  5

La naissance d’un développement industriel 5

2.     L’État de la Nouvelle-France en 1663  7

Les institutions royales  7

Le gouverneur Buade de Frontenac  8

L’intendant Talon  9

L’Occupation du territoire  11

L’Église  11

Les communautés religieuses de femmes  12

Les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec  12

Les Ursulines de Québec. 12

Les Filles séculières de la Congrégation de Notre-Dame  12

Les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal 13

Mgr Laval 14

3.     L’aspect juridique du régime seigneurial 15

La dimension socio-économique  15

Les droits honorifiques : 15

Le cens et la rente  15

Les lods et ventes. 15

Divers droits  16

La corvée  16

Le droit de retrait. 16

L’arrière-fief 16

Conclusion  16

4.     La seigneurie et ses composantes  17

Les familles seigneuriales. 17

Les alliances seigneuriales  18

Le rôle de la femme dans une seigneurie  19

Les Notables dans le monde rural 19

5.     Le rôle des femmes dans le système seigneurial : Marie-Catherine Peuvret, seigneuresse de Beauport 21

La seigneurie de Beauport 21

Seigneuresse de Beauport 1715-1738  22

Conflit familial 22

6.     Étude de différents types de familles seigneuriales  25

La famille de Gaspé et la seigneurie de Saint-Jean-Port-Joly  25

Madeleine Angélique de Tilly  25

Ignace-Philippe Aubert de Gaspé  25

Marie-Anne Coulon de Villiers  26

Pierre-Ignace Aubert de Gaspé (1758-1823) 26

Catherine Tarieu de Lanaudière (1767-1842) 26

Philippe Aubert de Gaspé (1786-1871) 26

Les Tarieu de Lanaudière : une famille noble de la Nouvelle-France et son intégration aux autorités anglaises après la Conquête. 30

Les Lanaudière à la fin du régime français  30

Rester ou partir?  30

La fortune familiale  32

Les alliances des Lanaudière après la Conquête  32

Jean Mauvide, seigneur à l’Île d’Orléans  33

Le travail de chirurgien et de commerçant 33

Intégration à la communauté de l’Île d’Orléans  33

Jean Mauvide devient seigneur de la moitié de l’Île d’Orléans  34

La Conquête et les difficultés économiques qu’elle apporte  34

7.     Les seigneuries de Mount Murray et Murray  38

Malcolm Fraser 39

William Fraser 40

John Fraser 42

La suite des choses... 44

8.     Le système seigneurial et les relations avec les Indiens  46

La seigneurie de Sillery  46

Seigneurie du Sault-Saint-Louis  46

Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes  47

 

A.  Le régime seigneurial

1.     Le territoire et la société sous le régime seigneurial

 

Le paysage de la Nouvelle-France a subi d’importants changements avec l’arrivée des Français. Le roi de France devient propriétaire du sol. Aussi afin de développer son immense territoire, il aura recours à un système s’inspirant du système féodal sans toutefois en avoir toutes les composantes. Le territoire est ainsi octroyé à des institutions religieuses, à condition qu’elles remplissent une fonction sociale comme le soin des malades et l’éducation des enfants. D’autre part, les laïcs reçoivent des terres sous forme de fiefs qui sont alloués avec plusieurs privilèges honorifiques et financiers.

 

Les premières seigneuries accordées à des communautés religieuses comme celles des Jésuites sont formées d’immenses territoires. Sous le règne de Louis XIV, le développement de la colonie prend une autre tangente. Désormais, les fiefs sont de plus petites dimensions. Plusieurs seigneuries sont alors accordées à des officiers du régiment de Carignan envoyés en Nouvelle-France pour venir à bout des attaques amérindiennes.

 

Le territoire est occupé sous une forme hiérarchique : le roi, détenteur suprême du sol, conserve certains droits sur les seigneuries concédées comme les mines et les forêts. Le seigneur en distribuant des lots impose certaines restrictions à la propriété. Pour identifier le centre d’une seigneurie, c’est d’abord la construction du manoir et du moulin qui en fait foi ainsi que, plus tard, celle d’une église.

Les seigneuries sont toujours accordées le long du Saint-Laurent ou sur l’un de ses affluents comme le Richelieu, la rivière Saint-Maurice, la rivière La Chaudière, le cours d’eau servant de moyens de communication.

 

Dans chaque région, l’État compte sur les seigneurs pour le représenter. Dans plusieurs familles seigneuriales, les charges militaires et le privilège de la traite des fourrures permettent à ces derniers de conserver leur rang social. La reconnaissance de leurs droits requiert pour les familles seigneuriales une attention constante, celles-ci allant même jusqu’à multiplier les procès afin d’y parvenir.

 

Les grandes familles nobles comme les Tarieu de Lanaudière jouent un rôle éminemment important autant durant le régime français que durant le régime anglais. Elles ont contribué à façonner l’esprit même du peuple par l’influence qu’elles ont exercée. Les seigneuries appartenant à des institutions religieuses comme celles des Jésuites ou des Sulpiciens sont administrées un peu différemment. Elles se préoccupent davantage de développer plus rapidement leurs seigneuries en construisant des moulins. Les Jésuites, par exemple, instituent une cour de justice seigneuriale qui voit à faire appliquer leur politique de développement.

 

Les moulins seigneuriaux permettent aux censitaires d’avoir un service de base intéressant. Il faut rappeler que les Jésuites avaient plusieurs seigneuries comme Batiscan, La Prairie et Notre-Dame-des-Anges à Québec. La tenure seigneuriale a indubitablement façonné notre territoire. L’économie agricole est axée sur la production et la consommation domestique. À l’époque, on délaisse graduellement la production du blé pour l’avoine et les pommes de terre. C’est le signe d’un appauvrissement accéléré des campagnes et de vie en autarcie. Il est évident que sous le régime anglais les agriculteurs quittent leurs paroisses durant les mois d’hiver pour se transformer en bûcherons. Ce sont pour eux des revenus complémentaires intéressants. Malgré tout, l’agriculture demeura la principale source de l’économie et façonne véritablement son territoire jusqu’à la révolution industrielle.

La croissance de la population

 

C’est surtout grâce à l’accroissement naturel plus que l’immigration que l’augmentation de la population de la Nouvelle-France se fait. La famille représente le lien le plus important de la survivance de la nation naissante.

 

La masse de la population est d’origine française à laquelle il faut ajouter un petit nombre d’esclaves amérindiens ou noirs. Ceux-ci servent principalement de domestiques. Il y a dans les seigneuries prospères un taux important d’immigration sous le régime français, suivi du mouvement contraire sous le régime anglais. On constate que dès la fin du 18e siècle, les paysans éprouvent des difficultés à établir leurs enfants sur de nouvelles fermes. Ce problème sera présent tout au long des 18e et 19e siècles. C’est ce qui cause l’exode vers les États-Unis à la même époque.

 

La transmission des biens est un élément important dans la vie familiale. La dot permet de transférer une partie du patrimoine lors d’un mariage.  En théorie, on peut diviser la propriété entre les enfants en part égale.

 

Toutefois, pour éviter l’émiettement d’une ferme, plusieurs paysans préfèrent faire un don entre vifs contre le gîte et la subsistance. Cela occasionne souvent des conflits qui se terminent devant un juge. Les droits des femmes existent, mais sont souvent remis en cause par les droits exclusifs des hommes. Les droits successoraux sont souvent l’occasion de mésententes importantes dans la famille.

 

Le mariage et les alliances familiales ont un rôle important dans la société. Les seigneurs et les élites locales font souvent des alliances parmi leur classe sociale. Ainsi, les Lanaudière, les Lotbinière, les Gaspé s’allient à d’autres familles nobles ou à la haute bourgeoisie. Cependant, le clergé et les autorités civiles doivent surveiller de près les projets de mariage, entre autres, la bigamie (les hommes arrivent dans la colonie avec une possibilité d’un mariage antérieur) ou encore le mariage entre cousins. L’Église surveille de près les unions consanguines qui sont formellement interdites. Pour célébrer un tel mariage, il faut la dispense de l’évêque. L’argent nécessaire pour l’obtenir en limite le nombre.

 

Dans certains cas, on assiste à quelques mariages à la gaumine, c’est-à-dire que les promesses de mariage se font en public à l’église pendant la célébration de la messe. Dans d’autres cas, les fiancés forcent les choses en ayant des relations prénuptiales. Les couples pris en flagrant délit doivent s’excuser en public avant de pouvoir se réconcilier avec l’Église.

 

En Nouvelle-France, le choix du parrain et de la marraine pour des motifs religieux et juridiques est important, car il constitue un moyen de renforcer les liens familiaux et parfois d’établir une alliance avec des supérieurs dans l’échelle sociale.

L’ordre social dans les paroisses

 

Dans la société de la Nouvelle-France, l’ordre hiérarchique est complexe : il y a d’abord le seigneur, suivi du curé, du capitaine de milice, les lieutenants, les bourgeois du village et, tout en bas de la liste, les paysans. Le seigneur est le lien avec le gouvernement colonial. Il joue principalement un rôle administratif. Le curé avec le temps accroît son influence, de même que le capitaine de milice.

 

De plus, on assiste à la naissance d’une petite bourgeoisie de marchands et d’agriculteurs financièrement à l’aise.

 

Il arrive parfois que les prêtres, qui sont les gardiens de la moralité publique, se heurtent aux seigneurs lorsqu’un noble à la conduite honteuse refuse de se plier à certains dictats du clergé. Généralement, dans de tels cas, le gouverneur donne raison au seigneur.

 

Souvent, les seigneurs occupent des fonctions importantes dans l’administration et sont absents de leur seigneurie. Alors, le curé peut assumer des fonctions qui sont normalement dévolues au seigneur. Lorsqu’un curé intervient d’une façon trop importante dans les affaires civiles, il peut susciter la controverse et l’opposition de ses paroissiens qui s’adressent parfois à l’évêque pour demander sa mutation.

 

Durant le régime anglais, le symbole de l’autorité locale change, le capitaine de milice jouant souvent un rôle identique au seigneur. Les curés en viennent également à jouer un rôle de plus en plus important devant le vide laissé par les seigneurs absents.

La constitution de 1791 et la mise en place d’un système électoral ne font que précipiter le déclin du régime seigneurial. En effet, ce nouveau régime laisse une place de plus en plus grande à la nouvelle bourgeoisie formée souvent de professionnels comme les médecins, les avocats et les notaires. Toutefois, les habitants continuent à agir dans le cadre du régime seigneurial en réclamant des moulins et la concession de nouvelles terres.

 

Au 19e siècle, les seigneurs et les prêtres continuent à maintenir des liens avec l’extérieur, soit le gouverneur et l’évêque. Les capitaines de milice quant à eux s’occupent surtout d’affaires locales.

La vie sociale

 

Les lieux publics sont limités à l’église, le pré communal et, dans certaines seigneuries, au tribunal seigneurial. L’église demeure le lieu par excellence où s’exerce la vie communautaire. Ainsi, on se dispute souvent sur le lieu d’érection de l’église ou des droits du seigneur au banc seigneurial. C’est l’édifice le plus prestigieux d’un village. Les paroissiens se saignent à blanc pour ériger un temple le plus impressionnant possible.

Cour de justice

 

Toutes les seigneuries ont le droit d’exercice de haute moyenne et basse justice. On peut, ainsi, régler tous les conflits locaux. Malgré ses pouvoirs, ces cours de justice s’en tenaient généralement au règlement de créances et de petits conflits. Pour l’aider dans sa tâche, le juge a deux assistants : un greffier et un huissier. Cette cour sert surtout au soutien de l’élite locale. Indéniablement, le rang social est important pour la sentence qu’on peut obtenir devant ce tribunal.

 

Cependant, il faut noter que la plupart des seigneuries n’ont pas les ressources suffisantes pour administrer une cour seigneuriale. Les causes sont alors déférées aux cours judiciaires des régions soit Montréal ou Trois-Rivières ou selon l’importance de la cause, à Québec au Conseil souverain.

 

La répartition des charges pour les travaux publics comme la construction des routes et le creusage des fossés cause souvent des conflits. Généralement, les fossés sont creusés par les paysans. Ces derniers essaient de réduire autant que possible leur charge de travail public. On doit régulièrement recourir aux tribunaux pour faire observer les ordonnances de l’intendant. Pour que les travaux publics soient exécutés, il faut définir avec minutie les responsabilités individuelles.

 

La construction des églises occasionne des problèmes analogues d’organisation. On se dispute souvent sur le lieu de la bâtisse pour ensuite se chicaner sur la répartition des matériaux de construction à fournir ou les montants d’argent. De plus, lorsque la division d’une paroisse devient nécessaire, de multiples objections viennent des propriétaires de la nouvelle paroisse qui doivent être à nouveau sollicités pour l’érection d’un nouveau temple. Souvent, les décisions locales sur la répartition des tâches tournent à la foire d’empoigne.

 

Sous le régime anglais, la petite bourgeoisie réussit mieux que le seigneur à unir les forces locales pour les entreprises publiques. La présence d’une assemblée élue représente une nette amélioration de la participation de la masse populaire au développement social.

La naissance d’un développement industriel

 

Sous le régime français, l’exploitation forestière est peu développée. Ce n’est qu’à partir de 1820 que l’administration coloniale va s’occuper plus intensivement de la coupe du bois. Le commerce du bois offre aux seigneurs, aux marchands et quelques habitants la possibilité de faire un commerce rentable. L’industrie forestière va demeurer l’activité économique de l’avenir. Elle permet de nouveaux revenus aux petits agriculteurs.

 

À ce phénomène s’ajoute celui du morcellement des terres pour établir les enfants des habitants déjà en place. Les propriétaires veulent éviter la division des terres à cause des conséquences négatives dans le domaine économique. Les vieilles paroisses du long du Saint-Laurent offrent peu de possibilités aux jeunes hommes qui veulent s’établir.

 

Les paroisses de l’arrière-pays offrent la terre et le travail comme bûcherons. Dès le 19e siècle, l’avenir se dirige vers l’industrie forestière associée à une agriculture de subsistance.

2.     L’État de la Nouvelle-France en 1663

 

Afin de mieux comprendre le développement du territoire avec le système seigneurial, il est de mise de regarder l’état de la situation en Nouvelle-France avant la création du gouvernement royal.

 

En premier lieu examinons la situation de la colonie en 1663, tout juste avant l’imposition du gouvernement royal.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est peu étendue. Trois régions sont développées : Québec, Trois-Rivières et Montréal. Le développement doit se faire sous l’égide de la Compagnie des Cents associés. Sur les quelque 3000 habitants que compte ce vaste territoire, les deux tiers vivent à Québec sur le Cap-aux-Diamants. Les institutions politiques et religieuses y sont présentes. Cent kilomètres plus loin, on retrouve le deuxième noyau de la Nouvelle-France : Trois-Rivières et sa région avec environ 470 personnes. Le Cap-de-la-Madeleine est une seigneurie appartenant aux Jésuites. Finalement, à cent cinquante kilomètres de distance, se trouve Montréal qui compte une population de 560 habitants.

 

Ce repliement de la population dans trois régions éloignées les unes des autres est principalement dû à l’insécurité militaire. En effet, les nations iroquoises au sud, soutenues par les Hollandais, veulent le contrôle du commerce des fourrures et se promènent facilement dans le territoire de la Nouvelle-France. Il n’y a aucune armée pour protéger la colonie, les habitants de ces trois centres devant assurer eux-mêmes leur défense. Il y un manque évident d’un gouvernement stable. La justice est mal administrée et Mgr Laval passe en France, en 1662, pour demander d’urgence l’intervention du roi. La vie économique connaît un véritable désarroi. En effet, à cause de l’insécurité, le commerce des fourrures, principale source de revenus de la colonie, connaît un rapide déclin. Au niveau des missionnaires, la colonie a de faibles résultats. Il y a peu de conversions amérindiennes et le rêve des Jésuites de sédentariser les Amérindiens se transforme en une véritable utopie.

 

Pendant ce temps, la Nouvelle-Angleterre avec ces treize colonies compte une population de 40 000 habitants, la Nouvelle-Hollande plus 10 000, la Virginie plus de 30 000.

 

Pour sa part, la Nouvelle-France bénéficie d’une population totale de 3500 habitants, incluant tous les colons français de l’Acadie et autres territoires. Si la France désire conserver une colonie en Amérique du Nord, elle doit faire de profonds changements. En France, après le décès du premier ministre Mazarin, en 1661, Louis XIV s’empare le pouvoir. Colbert devient son intendant des finances et prend en charge le développement de la Nouvelle-France. En 1663, la Compagnie des Cents associés doit la remettre aux mains du roi. Elle devient une colonie royale avec une toute nouvelle structure.

Les institutions royales

 

En date du 24 mars 1663, la Nouvelle-France est réunie au domaine royal. Il y a d’abord un vice-roi dont le rôle est plus honorifique que réel. Le premier personnage de la nouvelle administration avec de vrais pouvoirs est le gouverneur. Ce dernier a les pleins pouvoirs sur tout ce qui regarde la guerre, les militaires, les officiers de l’administration et autres sujets du roi.

 

Sous les ordres du gouverneur, on met en place une nouvelle fonction qui va jouer un rôle prépondérant dans l’administration quotidienne de la colonie : l’intendant. Il s’occupe d’une façon plus immédiate de la justice, de la police et des finances.

 

Un autre corps institutionnel est créé : le Conseil souverain. Il est à la fois un tribunal de première instance et, à l’occasion, une cour d’appel. Il doit s’occuper du commerce des pelleteries et de l’administration de la justice avec le pouvoir de nommer les juges et les officiers nécessaires à son administration. Il s’occupe également des finances et tout ce qui concerne l’administration générale de la colonie. Il est composé du gouverneur, de l’évêque, de cinq à sept conseillers, d’un procureur et d’un greffier. Le gouverneur et l’évêque doivent nommer conjointement les conseillers du Conseil. L’évêque et le gouverneur sont donc sur un pied d’égalité, ce qui causera d’innombrables conflits. En plus du gouverneur général, il y a deux gouverneurs particuliers pour Montréal et Trois-Rivières.

 

La justice est administrée à deux niveaux : la justice royale à Québec et Trois-Rivières. Dans le reste de la Nouvelle-France, il y a la justice seigneuriale, là où elle est établie. À Montréal, il y a une justice seigneuriale qui relève du seigneur de l’Île, les Sulpiciens.

 

Le Conseil souverain détient les pouvoirs de Cour d’appel pour toutes les cours seigneuriales qui deviennent des tribunaux subalternes. En somme, en Nouvelle-France rien n’est simple, les juridictions souvent se superposent et deviennent sujets de nombreux conflits.

Le gouverneur Buade de Frontenac

 

Pour bien comprendre le rôle du gouverneur en Nouvelle-France, nous prendrons l’exemple du plus célèbre d’entre eux, Buade de Frontenac. Il vient d’une vieille famille noble. Louis Buade de Frontenac, comte de Palau, arrive au Canada pour la première fois, en 1672, à l’âge de 50 ans. Il avait détenu des postes importants dans l’armée. Son épouse, Anne de la Grange, le servira en haut lieu. Les époux Frontenac ont la réputation de mener une vie fastueuse et sont très endettés. Il est un homme franc et direct qui a souvent maille à partir avec Mgr Laval, évêque de Québec. Il accuse par exemple les Jésuites de préférer être missionnaires plutôt que d’être curés de paroisse à cause du commerce du castor souvent associé aux expéditions françaises.

 

Il a une haute opinion de lui-même et tient mordicus au décorum qui entoure la pratique de sa charge. Il intervient sans vergogne dans les domaines relevant de l’autorité du Conseil souverain ou de l’intendant. De 1672 à 1675, il gouverne sans intendant et se permet sans doute de garnir son portefeuille en pratiquant le commerce des fourrures.

 

Il n’hésite pas à faire arrêter le gouverneur de Montréal, Perrot, ainsi qu’un membre du clergé qui se sont imprudemment opposés à son autoritarisme. Frontenac se dresse contre l’intendant et le Conseil souverain dont il veut exercer les pouvoirs. Finalement, au grand regret de Frontenac, le Conseil souverain soumet le litige directement au roi qui lui donne raison.

 

Dans un autre conflit, il se dresse directement contre l’évêque de Québec, Mgr Laval dans une lutte à finir contre le commerce de l’eau-de-vie. Évidemment, comme il profite lui-même des bénéfices de ce commerce, il défend avec beaucoup d’énergie l’utilité de la vente de l’eau-de-vie aux Amérindiens. À la fin, tous ces conflits avec les autorités laïques et religieuses vont provoquer son rappel en 1682.

 

En 1689, il reçoit une nouvelle mission, soit celle de prendre le commandement d’une troupe qui a pour mission d’attaquer New York, puisque la colonie anglaise devient très menaçante pour la survie de la Nouvelle-France.

 

Frontenac comprend qu’une victoire militaire sur les Anglais relèverait le moral de la colonie et son prestige de gouverneur. C’est ainsi qu’en 1690, il dirige une attaque sur trois établissements anglais où l’on détruit des fermes et tue plusieurs Anglais. Ces victoires rehaussent le moral de la Nouvelle-France et répandent la terreur le long des frontières.

 

La même année, le général William Phips vient assiéger Québec. Jouant de subterfuges, il répond à l’envoyé de Phips les fameuses paroles « dites à votre maître que je lui répondrai par la bouche de mes canons ». En conséquence, du moins temporairement, la menace anglaise est écartée. Durant toutes ces années, Frontenac s’occupe activement de l’expansion du commerce des fourrures. Ce commerce est souvent associé à des expéditions militaires. Ainsi, les expéditions étaient financées par le trésor royal, les bénéfices du commerce des fourrures revenant à Frontenac et ses associés.

 

Durant son deuxième mandat, il a des relations plus harmonieuses avec son entourage, sauf avec Mgr de Saint-Vallier au sujet toujours du commerce de l’eau-de-vie avec les Amérindiens. À l’automne 1698, la santé de Frontenac décline et il sent sa mort prochaine. Il décède en novembre de la même année et est inhumé dans l’église des Récollets de Québec.

L’intendant Talon

 

Le gouvernement royal mis en place en 1663 comprend la fonction d’intendant au côté de celle de gouverneur. Il a pour mandat de s’occuper des finances, de la justice et de la police. Il reçoit un traitement égal à celui du gouverneur.

 

Le plus célèbre d’entre eux, Talon est âgé de 39 ans et célibataire issu d’une famille d’intendants. Il a rempli une fonction similaire en France. Il est membre du « clan » Colbert à qui il voue toujours une fidélité totale. Il est même reçu personnellement par Louis XIV avant son départ.

 

Il est de la noblesse et possède des seigneuries près de Reims. Au Canada, il achète de nombreuses terres dont celle des Sillery en plus de trois bourgs détachés de Notre-Dame-des-Anges qu’il fait élever au rang de baronnie, puis de comté.

 

Talon prône l’autonomie économique de la Nouvelle-France. Il veut une colonie prospère à l’économie saine avec une population suffisamment nombreuse. Il fait développer un projet de brasserie et se lance personnellement dans l’industrie navale. Il développe le commerce avec les Antilles françaises. Il veut enrichir la colonie avec la production de plusieurs produits comme le chanvre, le lin, la potasse, le charbon, etc.

 

 

L’échec de la plupart de ces industries vient amoindrir sa réputation d’administrateur redoutable. C’est un homme souvent malade qui voyage peu au Canada. En 1665, le roi l’avait envoyé pour deux ans, mais en réalité il y demeure une année de plus et rentre en France en 1668. L’année suivante, le roi le renvoie au Canada pour un terme de deux ans. Arrivé en Nouvelle-France en 1670, il demande son rappel et rentre en France, définitivement, en 1672.

 

Au début de son premier mandat, il organise le premier recensement, en 1666, qui indique une population de 3579 personnes sans tenir compte des soldats et officiers du régiment de Carignan-Salières. C’est alors que Colbert et Talon songent à divers moyens pour augmenter la population. On veut augmenter l’immigration des engagés et de filles à marier (filles du roi). On encourage les soldats et officiers du régiment Carignan-Salières à s’établir dans la colonie. Les célibataires endurcis reçoivent des mises en demeure les forçant à prendre épouse sans quoi ils perdent des privilèges comme celui de la traite des fourrures. De plus, on incite les couples à multiplier le nombre d’enfants. Pour ce faire, le roi établit une sorte de système d’allocations familiales. D'autre part, il encourage l’agriculture en faisant venir des chevaux et d’autres animaux. Le territoire étant mal occupé, on passe à la distribution de nombreuses seigneuries dont 46 sont concédées en 1672, juste avant son départ définitif. C’est alors que plusieurs seigneuries sont accordées sur les deux rives du Saint-Laurent et du Richelieu. Ces nombreuses initiatives permettent à la Nouvelle-France de prendre son premier envol.

L’Occupation du territoire

 

La Nouvelle-France se développe par concession de fiefs. Avant la prise en main par le roi du développement de la colonie, la distribution des terres se fait d’une façon un peu anarchique, de longues distances séparant certaines seigneuries ce qui facilite d’autant les attaques iroquoises. À partir de 1663, les terres sont dorénavant concédées conjointement par le gouverneur et l’évêque. En outre, le roi ordonne de révoquer toutes les terres non défrichées. Souvent, les communautés religieuses, comme les Jésuites, ont à défendre le manque de développement sur certaines de leurs terres. Lorsque Talon arrive au Canada, il a pour tâche de mettre de l’ordre dans le domaine de la distribution des terres.

 

En juillet 1667 et juin 1668, on ordonne aux seigneurs de se présenter à Québec et Trois-Rivières, selon la situation géographique de leurs seigneuries, pour établir leurs titres et rendre « foi et hommage » au roi. Le tribunal mis en place à cet effet étudie les titres et fait les rectifications qui s’imposent. Les terres qui n’ont pas été exploitées devront l’être dans un proche avenir, sinon elles seront rattachées au domaine du roi.

 

Pour échapper aux critiques des seigneurs, Talon demande au roi de lui ordonner de révoquer les seigneuries inactives. En conséquence, les Jésuites, grands propriétaires terriens, perdent deux fiefs soit celui de l’Assomption et de l’Île Jésus.

 

La domination du sol par le fief est complexe. On peut accéder à la seigneurie par l’arrière-fief ou même par l’arrière-arrière-fief. Dans un tel système, le seigneur de l’arrière-arrière-fief présente foi et hommage au seigneur de l’arrière-fief pendant que celui-ci rend foi et hommage au seigneur qui à son tour le fait devant le représentant du roi.

 

Les institutions religieuses reçoivent des seigneuries pour s’occuper de l’éducation, des soins hospitaliers, etc. En 1674, ils ont 52 % des terres concédées. En 1674, les terres concédées à des Canadiens de naissance sont importantes puisque cela représente près de 30 % du total.

 

D’autre part, avec l’arrivée du régiment de Carignan-Salière, plusieurs seigneuries sont concédées à ses officiers (Sorel, St-Ours, Contrecœur, etc..) d’origine noble. Plus de la moitié du territoire seigneurial des séculiers est dominé par des femmes, toutes veuves, phénomène important sur lequel nous reviendrons

 

Certaines grandes familles comme les Lauzon, Couillard, Juchereau, et les Lemoyne sont propriétaires de nombreux domaines situés dans différentes régions du Québec. Cependant, l’un des plus importants seigneurs de la Nouvelle-France est Mgr Laval, l’évêque de Québec

L’Église

 

L’Église, en 1663, regroupe 21 prêtres séculiers, Jésuites et Sulpiciens.  D'autre part, l’Église compte 41 religieuses qui s’occupent d’hôpitaux et d’éducation, dont les Ursulines et les Hospitalières de Québec.

 

Dès son retour en Nouvelle-France, en 1663, Mgr Laval établit un organisme pour soutenir l’ensemble de son clergé séculier : le Séminaire de Québec. Ce dernier est de formation cléricale. C’est du Séminaire que viendront  les curés des paroisses. Chose particulière, la dîme est administrée par le Séminaire qui se charge de la subsistance des membres du clergé séculier, le surplus devant servir à la construction d’églises.

 

Le Séminaire  comme institution  est formé du Grand Séminaire pour la formation immédiate des futurs prêtres et du Petit Séminaire qui prépare les plus jeunes. Outre le petit fief de la haute ville de 18 arpents où est installé le Séminaire, Mgr Laval possède deux vastes fiefs : Beaupré et la Petite Nation.

 

À Montréal, le séminaire de Montréal est administré par les Sulpiciens qui sont reliés au séminaire des Missions étrangères de Paris. Ce dernier doit fournir les ecclésiastiques nécessaires au bon fonctionnement de la région de Montréal. C’est ainsi que le Séminaire Saint-Sulpice de Paris devient seigneur et curé de toute l’Île de Montréal.

 

Les Sulpiciens doivent s’occuper des missions amérindiennes. De ce fait, les Jésuites perdent leur monopole sur ces missions.

 

Mais ces derniers, célèbres par les Relations des Jésuites, sorte d’annales sur la vie en Nouvelle-France, possèdent une institution de prestige, le Collège de Québec, dont la responsabilité est l’instruction des jeunes Français et Amérindiens.

 

En plus des Jésuites et des Sulpiciens, les Récollets arrivent en Nouvelle-France en 1670, et sont mal accueillis à la fois par Mgr Laval et les Jésuites. Mgr Laval ne veut pas d’une autre communauté religieuse qui échappe à son autorité, puisqu’elle relève de la maison mère en Europe. Il faut leur céder des terres pour assurer leur subsistance, mais jamais les Récollets ne deviendront de grands propriétaires terriens comme d’autres communautés religieuses puisqu'ils sont un ordre mendiant.

Les communautés religieuses de femmes

 

Les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec

 

La plus ancienne communauté religieuse de femmes au Québec est celle des Hospitalières de Québec. En 1663, elle compte 12 religieuses et 4 converses.

 

En 1663, l’Hôtel-Dieu comprend la maison des religieuses, des constructions connexes ainsi qu’une salle pour les femmes En 1672, l’intendant Talon fait ajouter à l’hôpital une double salle avec un pavillon. En 1674, la communauté compte 18 choristes, 6 converses, dont le tiers est d’origine canadienne. Ces religieuses s’occupent essentiellement des malades à l’Hôtel-Dieu de Québec où sont soignés à la fois les militaires et les civils.

Les Ursulines de Québec.

 

Arrivées en même temps que les Hospitalières, les Ursulines ont pour mission d’assurer l’instruction des jeunes filles. En 1674, la communauté compte 24 religieuses, 19 choristes et 5 converses dont la moitié sont d’origine canadienne. Les communautés féminines ont su canadianiser leur communauté, ce qui est loin d’être le cas chez les communautés d’hommes, les Jésuites et les Sulpiciens n’ayant attiré aucun candidat autochtone.

 

Le monastère de 1674 est le même que celui de 1652 avec deux additions, dont une chapelle extérieure et une grange. Les Ursulines se consacrent à l’éducation à l’intérieur de leur cloître. Ces religieuses doivent s’occuper d’abord des Canadiennes, mais ont également pour mission l’éducation des « sauvagesses ».

Les Filles séculières de la Congrégation de Notre-Dame

 

Les filles séculaires ne forment, en 1663, qu’une petite communauté sans statut religieux régulier. Comme il manque de religieuses pour l’instruction des jeunes filles à Montréal, il y a de fortes pressions pour que l’œuvre naissante de Marguerite Bourgeois soit reconnue officiellement par le roi. Mgr Laval et l’intendant Talon appuient cette demande. Marguerite Bourgeois se rend donc en France et, en mai 1671, des lettres patentes du roi confirment l’établissement de la Congrégation Notre-Dame. Cependant, au niveau de l’Église, la communauté n’a encore aucun statut officiel. En 1674, la communauté compte 9 associées et 5 filles en probation.

Les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal

 

Les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal sont formées de séculières. Leur hôpital est dirigé par une laïque, Jeanne Mance. En 1663, il y a quatre femmes, dont une jeune de 14 ans.

 

En octobre 1667, les habitants de Montréal, appuyés par Talon, demandent l’émission de lettres patentes, ce qui est fait officiellement en avril 1669. Après différentes tergiversations, Mgr Laval reconnaît la nouvelle communauté en octobre 1671.

 

L’Hôtel-Dieu devient alors un monastère. En 1674, le nouveau monastère comppte 8 religieuses. En 1676, l’hôpital est près de la ruine financière et doit remettre l’administration de ses biens au sulpicien Rémy qui la remet à flot. Les bâtiments de la rue Saint-Paul sont en piètre état. Il faudra attendre, en 1689, pour la construction de nouveaux bâtiments.

 

Mgr Laval

 

En 1663, à son retour en Nouvelle-France après un an d’absence, Mgr Laval a toujours le titre d’évêque de Pétrée relevant de la Congrégation de la Propagande à Rome. Comme il n’est pas évêque en titre, cela lui cause des problèmes pour l’organisation des paroisses et l’imposition de la dîme. Pourtant, tout est en place pour la transformation du vicariat apostolique en diocèse, puisque Louis XIV lui a accordé son appui formel. En attendant d’être reconnu évêque en titre, il procède à l’organisation de son diocèse en établissant le Séminaire de Québec qui regroupe tous les prêtres du diocèse. Il intervient dans les communautés religieuses de femmes qui relèvent de son autorité.

 

Les honneurs ecclésiastiques qui lui causent également certains problèmes par exemple, des questions de préséance dans les processions et les offices religieux. Ainsi, Talon veut tenir la deuxième place quand le gouverneur est présent. De plus, les membres du Conseil Souverain veulent avoir préséance sur les marguillers, etc. Les Jésuites ont des conflits avec Mgr Laval, puisqu’ils font des démarches pour obtenir le titre épiscopal. Après 1665, Mgr Laval participe de moins en moins au Conseil souverain. Il n’est désormais plus sur le même pied que le gouverneur comme au début de la Nouvelle-France.

 

Le 1er octobre 1774, le pape nomme Mgr Laval comme évêque en titre de Québec avec tous les privilèges qui y sont associés. En 1674, le nouveau diocèse s’étend à l’ensemble de l’Amérique du Nord. À cette époque, il compte 37 lieux de culte. Pour une population de 8000 habitants, l’évêque dispose de 66 prêtres. La canadianisation se fait plus rapidement chez les religieuses que les communautés masculines.

3.     L’aspect juridique du régime seigneurial

 

Le régime seigneurial est basé sur le système féodal français. Cependant, il s’en distingue sur plusieurs aspects. Notre régime seigneurial est régi par un ensemble de règles contenues dans la Coutume de Paris, qui est la base de la structure juridique française.

 

L'assise de ce système est le fief, nommé seigneurie en Nouvelle-France. Ce régime peut s’analyser sous trois aspects : politique ou la relation du seigneur avec l’État; une dimension socio-économique ou la relation entre le seigneur et ses censitaires; et, finalement, juridique ou le pouvoir de justice détenu par le seigneur.

 

À l’époque de la colonisation du Canada, l’aspect d’autorité médiévale n’existe plus. C’est l’État royal centralisé qui contrôle la vie politique et économique de la colonie. Avec Louis XIV, c’est l’absolutisme qui a force de loi. Le seigneur devient le lien entre l’État et le censitaire. C’est lui qui doit développer un territoire qui lui est assigné tout en assurant la justice et la police de base sur son domaine. Selon plusieurs historiens  de la Nouvelle-France, le seigneur est un « entrepreneur en peuplement ». Celui-ci devient donc un élément essentiel dans le développement territorial de la colonie.

La dimension socio-économique

 

Il y a donc une hiérarchie sociale où le seigneur, élément clé de ce système, détient un statut privilégié.

Les droits honorifiques :

 

Précisons en premier lieu qu’en Nouvelle-France ce ne sont pas tous les seigneurs qui sont d’origine noble. Il y a parmi eux des négociants plus fortunés, des ecclésiastiques et finalement des nobles venus de France. Si la composition de cette classe sociale n’est pas homogène, les privilèges qu’elle détient sont comparables. Ses droits sont souvent des droits de préséance pour les cérémonies religieuses (droit de banc à l’église paroissiale) et de plusieurs droits civils.

 

Ainsi, les seigneurs détiennent des droits symboliques qui les placent au-dessus des simples habitants. En Nouvelle-France, le censitaire est propriétaire de sa terre pourvu qu'il respecte les obligations qui y sont attachées. Il doit cependant payer plusieurs types de taxes que peut lui imposer le seigneur. Celui-ci peut prescrire des amendes prononcées par son droit judiciaire et des taxes comme le droit de mouture, le cens, la rente, etc.

 

Regardons maintenant les principaux droits des seigneurs sur les censitaires.

 

Il y a d’abord les droits fixes :

Le cens et la rente

Le cens est celui qui marque symboliquement le droit du seigneur. C’est une redevance foncière annuelle et perpétuelle rattachée au fief. C’est une redevance peu lucrative, mais qui marque l’autorité du seigneur sur le censitaire. La rente est un droit fiscal qui peut varier et peut être considérée comme un loyer de la terre concédée.

Les lods et ventes.

C’est une taxe imposée par le seigneur à chaque mutation (vente) de la propriété par le censitaire pouvant équivaloir au douzième de la valeur et payable par l’acheteur. Ce droit représente une part importante du revenu seigneurial. On encourageait le payement rapide de cette taxe en remettant le quart du droit au débiteur qui paie comptant.

Divers droits

Le seigneur a droit de justice et peut percevoir les amendes ainsi émises. Comme celui-ci ne peut juger lui-même, il doit structurer un tribunal avec juge, greffier et huissier. Même dans les plus grandes seigneuries, peu de seigneurs canadiens semblent l’avoir fait. On avait alors recours à la justice royale de Québec, Montréal et Trois-Rivières et, dans certains cas, au Conseil souverain.

 

Il y a également le droit de mouture qui est fixé au quatorzième minot de grain. C’est un droit qui suscite beaucoup de contestations parce qu’il faut attendre que les usagers préférentiels (seigneurs, personnages importants, etc.) soient servis.

 

En principe, chaque seigneur est tenu de construire un moulin dans sa seigneurie.

S’ajoutent les droits de pêche et de chasse. En Nouvelle-France, toutefois ces droits féodaux ont été difficilement appliqués en raison des dimensions des seigneuries et souvent de leur éloignement.

 

Il y également les droits conventionnels :

 

Ces droits devaient être stipulés dans le contrat liant le seigneur et son censitaire au moment où il octroyait une terre.

La corvée

Le premier de ces droits est celui de la corvée. Il consiste généralement en trois ou quatre jours par année que doit fournir le censitaire à son seigneur, généralement pour les travaux agricoles de son domaine. Le censitaire peut s’en délivrer contre une modique somme d’argent.

Le droit de retrait.

Au Canada, ce droit donne au seigneur la possibilité de racheter d’office la vente d’un censitaire à un tiers. Quoique rarement utilisé, il marque le lien hiérarchique du seigneur. À cela s’ajoutent des droits de servitudes ou réserves comme celui de passage pour un chemin public ou droit de coupe de bois.

L’arrière-fief

L’arrière-fief est une partie de la seigneurie accordée en terre noble donnant droit à son détenteur au titre de seigneur et des privilèges qui y sont reliés. Le seigneur principal reçoit de ses vassaux « foi et hommage ». L’octroi d’un arrière-fief est un phénomène rare. Il survient généralement dans les grandes seigneuries comme c'est le cas à Beauport. Les luttes de pouvoir surviennent également dans les seigneuries les plus peuplées opposant les officiers de la milice, les seigneurs d’arrière-fiefs et marguillers au seigneur principal dans différentes causes où l’autorité de chacun est mise en cause.

Conclusion

 

Le régime seigneurial canadien constitue le cadre juridique original du statut foncier en Nouvelle-France. C’est ainsi qu’en récompense de son rôle de colonisateur, le seigneur est placé dans une situation hiérarchique plus élevée que le censitaire dans la vie sociale et économique de la colonie.

 

C’est dans les arrêts de Marly, qui constituent une véritable chartre du régime seigneurial, qu’on peut constater la subordination du seigneur et des censitaires aux impératifs royaux.

4.     La seigneurie et ses composantes

 

La seigneurie est un système de peuplement lié à une forme de féodalité européenne. Il y a donc un lien juridique entre le seigneur et les paysans. La seigneurie comprend un domaine réservé en propre au seigneur et les tenures ou le lot octroyé à un paysan. Son cadre juridique demeure la Coutume de Paris.

 

Le seigneur est tenu, en principe, de construire un manoir, mais n’est pas soumis à une obligation de résidence personnellement. Sous le régime français, la plupart des seigneurs n’habitent pas leurs seigneuries, mais sont représentés par des agents. Plusieurs seigneurs se font enlever leurs seigneuries faute de ne pas les avoir développées. La seigneurie constitue un lieu de rassemblement communautaire, mais rapidement la paroisse devient le principal centre de vie d’un milieu rural. C’est donc l’évolution de la société française en Nouvelle-France que l’on observe en étudiant le système seigneurial.

 

Au début du régime français, il est évident que les seigneurs sont souvent liés à l’administration et au monde militaire. Ceux-ci négligent conséquemment leur rôle de seigneur. Cependant, dès que leur situation économique le permet, le seigneur érige un manoir et un moulin symbole de son autorité. Soulignons ici que plusieurs sont propriétaires de nombreux fiefs. Conséquemment, plusieurs seigneuries ne jouissent pas de la présence d’un seigneur et de sa famille, mais doivent vivre avec la présence d’un régisseur qui agit en son nom.

 

Sous le régime anglais, il y a un net changement de situation avec une augmentation importante de seigneurs résidents. La population agricole de la vallée du Saint-Laurent atteint un point de saturation au milieu du 19e siècle. À cette époque, une véritable élite seigneuriale existe vivant souvent uniquement des revenus de leurs seigneuries. C’est l’âge d’or de la classe seigneuriale. À la fin du régime seigneurial, les seigneuries sont généralement très peuplées. Ces seigneurs sont souvent d’origine sociale modeste, les nobles formant tout au plus 30 % de cette classe sociale. La majorité d’entre eux sont nobles de naissance, quelques individus seulement ayant été anoblis durant le régime français. Les roturiers sont des bourgeois pour une partie ou des gens d’origine paysanne. Souvent, les seigneuries ne durent qu’une génération. Quelques rares exceptions s’illustrent par une longue durée comme les Saint-Ours, les Couillard de Beaumont, les Côté de Île Verte, les Rioux de Trois pistoles.

 

Les familles seigneuriales.

 

Dans les familles nobles ou roturières, le nombre d’enfants est généralement assez élevé. L’époux est la plupart du temps plus âgé que son épouse. Il est très important, pour ces familles, d’assurer à leur progéniture un statut social de premier plan par des mariages dans la même classe sociale. La famille seigneuriale comme paysanne a pour but d’assurer l’intégrité du patrimoine, la survie du nom et une certaine sécurité pour la vieillesse.

 

Fréquemment, c’est le fils aîné qui est favorisé dans le partage familial. On veut éviter ainsi l’émiettement du patrimoine familial. Selon la Coutume de Paris, c’est le statut noble de la terre seigneuriale qui fixe les modalités de la succession. Lorsqu’un seigneur décède, son épouse hérite de la moitié des biens, l’autre partie passant aux enfants survivants. L’aîné reçoit le manoir, et la moitié de la deuxième partie. Ce dernier devient ainsi le seigneur principal dit « primitif ». La richesse chez les nobles se trouve ainsi concentrée dans les mains d’un seul héritier.

 

C’est l’abolition du régime seigneurial qui va mettre fin aux lignées seigneuriales. Les rentes constituées permettront cependant aux anciennes familles seigneuriales de continuer à avoir un rapport seigneur/censitaire pendant encore plusieurs années. Les enfants de seigneurs nobles parviennent généralement mieux à maintenir leur statut que ceux des seigneurs roturiers. À la mort du seigneur, le rôle de sa veuve devient alors déterminant.

 

Dans plusieurs familles, la division de la propriété entre plusieurs héritiers est responsable de la perte de la seigneurie originale. Dans certains cas, l’un des héritiers rachète la part des autres pour conserver ainsi le patrimoine familial original. Au sein d’une société majoritairement analphabète, un niveau d’instruction minimal apparaît comme très utile pour l’administration d’une seigneurie. De ce fait, parmi certaines familles de seigneurs roturiers, le manque d’instruction va finalement forcer la vente de seigneurie au fur et à mesure que son développement en rend l’administration plus complexe.

 

Les enfants des seigneurs, sauf pour l’aîné, avaient peu de choix pour leur futur. Chez les nobles, les fils se dirigent souvent vers la carrière militaire. En ce qui concerne les seigneurs roturiers, le choix est plus restreint.

En effet, pour plusieurs d’entre eux, souvent analphabètes, l’agriculture demeure le seul choix possible.

 

Pour être considéré comme noble en Nouvelle-France, il faut avoir la qualité d’écuyer et surtout vivre noblement (ne pas exécuter de travaux manuels , ainsi que d’être au service du Roi comme militaire, magistrat ou administrateur.

 

Il arrive que, dans les plus riches familles seigneuriales, les fils cadets jouissent également du titre de seigneur puisque la famille possède déjà plusieurs seigneuries qu’on peut partager. Quelques-uns se dirigent vers le commerce. Dans les familles seigneuriales roturières, le sort des fils se confond souvent avec celui des paysans.

Les alliances seigneuriales

 

Dans les familles nobles, on cherche avant tout à conserver le statut de la famille. On essaie d’organiser des unions entre des familles ayant le même statut social ou supérieur. Il faut souvent aller dans d’autres régions géographiques pour pouvoir conclure le type d’alliance recherché. Dans certains cas, les fils adoptent le célibat comme mode de vie.

 

En Europe, dans les familles nobles, les charges ecclésiastiques importantes sont occupées par la noblesse. En Nouvelle-France, une place appréciable est occupée par les nobles dans des carrières ecclésiastiques. Chez les filles des familles seigneuriales, on retrouve de nombreuses vocations religieuses lorsque les bons partis manquent. La vocation religieuse devient alors une option intéressante.

 

Chez les nobles, à l’encontre des roturiers, la continuation du lignage est primordiale, le mariage ne pouvant être qu’une affaire de sentiments. Seules quelques grandes familles nobles réussissent à assurer des alliances nobles. Durant le régime anglais, la bourgeoisie remplace graduellement la noblesse. Chez les roturiers, la majorité épouse des fils ou des filles d’habitants. D’une façon générale, les familles seigneuriales essaient de trouver pour leurs fils des conjointes du même niveau social, tandis que pour les filles, on peut se contenter d’un candidat d’origine plus modeste.

 

L’aîné tient une place plus importante particulièrement dans les familles nobles. Donc, lorsqu’il s’agit de choisir une épouse on y apporte une attention toute spéciale. Dans l’ensemble, la majorité des seigneurs roturiers s’allient quand ils le peuvent à l’élite locale : marchand ou capitaine de milice. Au lendemain de la Conquête, un certain nombre de mariages entre anglophones et francophones ont lieu, mais ce phénomène demeure exceptionnel.

 

Les mariages consanguins, pourtant interdits par l’Église, apparaissent. L’Église accorde certaines dispenses à cet égard pour différents motifs comme l’isolement de certaines régions comme Charlevoix et Trois-Pistoles.

 

L’aspect économique peut parfois intervenir pour un mariage. Certaines conjointes amènent avec elles des douaires qui peuvent représenter des sommes considérables. Par contre, lorsqu’un héritier désigné outrepassait l’avis de la famille dans le choix de sa conjointe, cela pouvait lui occasionner de pénibles sanctions. C’est ainsi que la seigneuresse, Marie-Catherine Peuvret, de Beauport déshérite son fils, Antoine, qui désire marier la fille d’un habitant. Finalement, la seigneuresse a gain de cause, puisque Antoine se marie avec Marie-Françoise Chartier de Lotbinière.

Le rôle de la femme dans une seigneurie

 

Le rôle de la femme veuve tient une place importante dans l’administration des seigneuries. Les veuves sont appelées à gérer une seigneurie en attendant la majorité de l’aîné. La Coutume de Paris est le cadre juridique qui régit les relations entre le mari et la femme en donnant une nette supériorité à l’homme. L’époux peut disposer des biens communs sans le consentement de la femme, sauf bien sûr les biens propres de l’épouse. Toujours selon ce même cadre juridique, la veuve devient également émancipée par le décès de son mari. Cependant, la veuve doit partager la seigneurie avec ses enfants. Par contre, le fils aîné majeur est présenté comme le seigneur même si sa mère possède conformément au droit successoral, la moitié du bien. Quelquefois, il se présente comme coseigneur.

 

Ce contexte va souvent créer des conflits familiaux, qui parfois se prolongent pendant des années. Les veuves ne peuvent disposer des biens successoraux, y compris de leurs biens propres, sans le consentement du conseil de famille ou du tuteur des enfants.

La mère est dans la majorité des cas désignée comme tutrice légale des enfants. Dans les faits, la seigneuresse appartient à une élite particulière de la société. Lorsqu’une veuve se remarie, elle retombe sous l’autorité de son nouvel époux. Souvent, elle remet l’administration de ses biens à son nouveau conjoint. En somme, la seigneuresse veuve assume des fonctions administratives lorsqu’il n’y a aucun homme dans son entourage immédiat.

 

Les Notables dans le monde rural

 

Le notable peut se définir comme celui qui occupe une fonction ou une profession qui le place au-dessus du commun. Par exemple, les membres de la famille seigneuriale peuvent acquérir des fonctions de plus grands prestiges que les simples paysans.

 

Dans les plus grandes seigneuries, les seigneurs distribuent, en plus des terres en censives, des terres en arrières-fiefs à des membres de leur famille dont les titulaires portent également le titre de seigneurs. De cette manière, on peut développer une gentilhommerie rurale.

 

Le seigneur occupe la première place avant le curé et le capitaine de milice. Le curé et le capitaine de milice, avec le seigneur, représentent le pouvoir de l’État et de l’Église. Le capitaine de milice occupe une place importante, car depuis 1669 la milice regroupe tous les hommes valides de 16 à 60 ans. Il vient du peuple et voit son rôle prendre de l’envergure avec le temps, la milice jouant un rôle décisif dans la défense du territoire. Le curé exerce une influence importante dans la paroisse. Son ascendant s’exerce sur plusieurs aspects de la vie quotidienne, à chaque fois que l’aspect moral apparaît.

 

Sous le régime anglais, plusieurs institutions du régime français continuent d’occuper une place prépondérante dans la société comme la seigneurie et la paroisse. Ainsi, le seigneur, le curé et le capitaine de milice conservent leurs fonctions respectives.

 

Néanmoins, la puissance des professionnels s’accroît avec la présence des médecins, notaires, avocats et arpenteurs dans les villages. La création de corporations municipales au milieu du 19e siècle et l’apparition des fonctions de maires et d’échevins entraînent la formation d’une nouvelle élite locale.

En 1791, avec l’élection de députés, les professionnels forment une bourgeoisie de plus en plus influente.

 

Les marchands ruraux propriétaires de magasins généraux jouent un rôle primordial dans le domaine économique par des prêts consentis aux habitants. Leur influence est grande et ils jouissent du respect de la population. Il arrive fréquemment que les fils de marchands généraux profitent d’une instruction plus grande, ayant les moyens de fréquenter les collèges classiques. Cela leur permet de devenir par la suite des professionnels dans leur milieu.

 

D’autres professionnels proviennent de familles paysannes plus fortunées. Au milieu du 19e siècle, les séminaires et collèges classiques se multiplient, ce qui permet aux Canadiens d’acquérir de l’instruction et d’accéder à des professions libérales. Parfois, les grandes familles nobles, tels les Tarieu de Lavaltrie, s’allient à des roturiers plus fortunés comme Barthélemy Joliette, ce qui permet de revitaliser la lignée ancestrale. Ainsi, les nobles ont tendance à se marier avec des personnes du même niveau social, l’État favorisant les alliances entre les familles nobles. Mais avec le temps, les familles nobles se satisfont de plus en plus d’unions avec l’élite locale.

 

5.     Le rôle des femmes dans le système seigneurial : Marie-Catherine Peuvret, seigneuresse de Beauport

 

Nul mieux que Marie-Catherine Peuvret n’illustre le rôle important joué par plusieurs femmes dans l’administration des seigneuries. Sous le régime français, la colonie est un monde d’hommes. Les épouses n’ont qu’un rôle de substitution en cas d’absence du mari ou de son décès. Durant cette période, les hommes se marient plus âgés et vivent moins longtemps que leurs conjointes, ce qui fait que de nombreuses veuves doivent reprendre l’administration de leurs seigneuries, au moins jusqu’à la majorité du fils aîné qui, selon la Coutume de Paris, doit hériter de la majorité des biens paternels.

 

À travers le destin de Marie-Catherine Peuvret, nous verrons le rôle hors de l’ordinaire joué par cette femme exceptionnelle dans la société de l’époque. Elle est née à Québec le 13 janvier 1667. Sa mère, Marie-Catherine Nau, appartient à une famille de noblesse récente. Elle épouse Louis de Lauzon et entre dans l’entourage de Robert Giffard, seigneur de Beauport. Tous ces liens familiaux auront une grande importance plus tard. Sa mère se marie en seconde noce avec Jean-Baptiste Peuvret. Ce dernier participe dans l’administration coloniale. Il est cependant un roturier, bien qu’il appartienne à la haute bourgeoisie. Il devient seigneur en 1663. Il est alors connu sous le nom de sieur Demesnu.

 

Roturière par son père, elle est sans doute consciente des origines nobles de la famille de sa mère, le statut familial occupant une place prépondérante dans la vie familiale. Elle fait un bref séjour chez les Ursulines de Québec. Après six mois, elle quitte le monastère, en avril 1682, pour ne plus y revenir. Il semble que la majorité des élèves de l’époque y séjourne moins d’un an. Sa mère disparaît en mer lors d’un voyage en France. Elle n’a qu’un frère, Alexandre Demesnu, qui décède, en 1731, sans descendance, lui laissant tous ses biens en héritage.

 

En 1683, l’âge de 16 ans elle prend pour époux, Ignace Juchereau, petit-fils de Robert Giffard. À l’occasion du contrat de mariage, le seigneur de Beauport et sa femme font cession de la seigneurie au jeune couple assurant à Marie-Catherine un avenir prestigieux comme future seigneuresse.

 

La seigneurie de Beauport

 

La seigneurie de Beauport est l’une des plus anciennes de la Nouvelle-France. Elle est concédée à Robert Giffard, apothicaire et maître-chirurgien en 1634. Les premières terres sont accordées le long du fleuve. En 1658, Robert Giffard est anobli en récompense de ses efforts pour le développement de la colonie. En Nouvelle-France, un seigneur n’est pas nécessairement un noble, mais la noblesse constitue un titre de prestige très prisé par l’élite. À la mort de Robert Giffard, son fils, Joseph, lui succède. C’est ici que s’inscrit l’alliance avec la famille Juchereau. En 1645, Marie Giffard, fille de Robert, se marie avec Jean Juchereau de la Ferté et en 1649, sa cadette s’unit à Nicolas Juchereau à son tour. Ces deux couples s’installent à Beauport sur deux arrière-fiefs qui leur sont concédés. Nicolas Juchereau assure le commandement de la milice locale. De son mariage, il a douze enfants. Parmi eux, Ignace Juchereau, sieur Duchesnay, ne sert pas dans l’armée comme ses frères, mais agit seulement à titre de commandant de la milice de Beauport. Le 17 février 1683, il se marie avec Marie-Catherine Peuvret. Une grande partie de l’élite locale est présente lors de la signature du contrat de mariage. Le jeune couple est désigné par le seigneur de Beauport et son épouse pour lui succéder, puisqu’ils n’ont pas d’héritiers, Joseph Giffard se réservant la jouissance des biens donnés par contrat.

 

Ignace Juchereau et Marie-Catherine Peuvret s’unissent en communauté de biens selon la Coutume de Paris. La femme est ainsi soumise à l’autorité du mari. Marie-Catherine met au monde neuf mois plus tard une fille, Geneviève. L’année suivante Ignace Juchereau doit suivre le gouverneur La Barre dans une expédition contre les Iroquois dans la région des Grands Lacs. En 1690, Phips assiège Québec et en demande la reddition et mille soldats anglais débarquent à Beauport. Nicolas et Ignace Juchereau s’illustrent en réussissant à repousser l’ennemi. Le rôle important des Juchereau lors de l’invasion ratée anglaise étant reconnu, Nicolas est anobli par le roi en février 1692. Ainsi, Marie Peuvret accède finalement à la noblesse. Elle travaille sans relâche pour maintenir sa famille dans son statut social.

 

Ce n’est qu’en 1696, lors de la mort de l’épouse du seigneur Joseph Giffard, Michelle-Thérèse Nau, que le couple Ignace Juchereau et Marie-Catherine Peuvret obtient la cession définitive de la seigneurie de Beauport. Au décès de son père, Marie-Catherine Peuvret hérite avec son frère Alexandre des propriétés familiales.

 

En 1702, son frère Alexandre décède et fait entrer dans le patrimoine des Juchereau les seigneuries de Gaudarville et Fossambault. Malheureusement, Ignace Juchereau meurt à son tour le 7 avril 1715, laissant à Marie-Catherine Peuvret une importante succession et une nombreuse famille.

Seigneuresse de Beauport 1715-1738

 

L’état de veuve représente pour une femme une reprise en main juridique de son destin, quoiqu’avec certaines restrictions. Comme nous l’avons déjà démontré, il arrive fréquemment que des seigneuresses reprennent, du moins pour un temps, l’administration d’une seigneurie en attendant la majorité du fils aîné. Marie-Thérèse Peuvret décide de ne pas se remarier et d’administrer elle-même la seigneurie de Beauport. Ce qu’elle fait avec succès pendant 24 ans. Mais pour ce faire, il faut qu’elle obtienne au préalable le consentement d’un conseil de famille qui la nomme tutrice de ses enfants mineurs.

 

Une des principales préoccupations de la seigneuresse est de s’occuper de l’avenir de ses enfants. Deux deviennent religieuses laissant quatre fils et cinq filles à marier. Il est certain que le fils aîné, Joseph, selon la Coutume de Paris a droit au manoir et à la moitié de la part des enfants. Cependant, celui-ci ne s’intéresse pas à la seigneurie de Beauport, mais davantage au droit de pêche aux Iles-de-la-Madeleine et meurt prématurément à l’âge de 35 ans. Son autre fils, Augustin, aurait dû normalement prendre la charge de seigneur, mais il choisit de tenter sa chance aux Antilles. Il semble qu’un conflit se soit présenté entre la mère et son fils, lorsque ce dernier est reconnu comme père d’un enfant illégitime. Un autre de ses fils, Ignace-Alexandre, est capitaine de navire et fait du commerce avec les Antilles. Marie-Thérèse doit donc assumer la charge de seigneuresse en titre avec tous les devoirs que cela comporte.

 

C’est finalement Antoine qui hérite du titre, mais après beaucoup de tractations. Marie-Thérèse n’abandonnera jamais complètement l’administration de la seigneurie. D’après les documents d’époque, elle procède à plusieurs concessions jouant ainsi un rôle très actif dans le développement de la seigneurie. Elle s’occupe attentivement de l’établissement de ses enfants. À l’âge de soixante ans, elle n’a aucun petit enfant légitime. La première à se marier est Marie-Louise à l’âge de 38 ans. Elle épouse un noble, Philippe Damours, sieur de la Morandière.

Il en sera ainsi pour toutes ses filles qui font de bons mariages avec des membres de la noblesse.

 

Pour Marie-Thérèse, cela est de première importance. Elle a de sérieux conflits avec les propriétaires des seigneuries voisines : le séminaire de Québec pour la seigneurie de Beaupré et les Jésuites pour la seigneurie Notre-Dame-des-Anges. Elle entre en conflit également avec ses censitaires qui souvent ne paient pas leurs redevances et doit alors avoir recours à l’intendant pour obtenir justice. Un fait cocasse la fait entrer en conflit avec les marguilliers de sa paroisse. À cause de sa nombreuse famille, elle réclame un deuxième banc seigneurial dans la nouvelle église. Les marguilliers refusent et l’affaire est portée devant l’évêque et l’intendant. Ce dernier émet finalement une ordonnance forçant la paroisse à accéder à sa demande.

Conflit familial

 

En février 1737, alors âgée de 70 ans, Marie-Thérèse Peuvret s’apprête à poser un geste important, réaffirmant une fois de plus le rôle de la noblesse dans la hiérarchie sociale de la Nouvelle-France. En effet, son fils Antoine, seul héritier du titre de seigneur de Beauport, fréquente assidûment la fille d’un habitant, Marie-Louise Parent, qu’il désire épouser sans le consentement de sa mère. Cette dernière désire ardemment que son fils fasse un mariage digne de sa classe sociale et fonde une famille pour assurer la succession de la dynastie.

 

En réaction, la seigneuresse fait rédiger un nouveau testament où elle le déshérite, lui laissant seulement la jouissance de l’usufruit de la part de la succession qui lui revient. L’action de la mère porte fruit, puisque Antoine épouse Marie-Françoise Chartier de Lotbinière en mai 1737. Marie-Thérèse annule son dernier testament et remet en place les droits d’Antoine au titre de seigneur. De ce mariage « arrangé » naîtront cinq enfants ce qui permet d’assurer la survie du nom des Juchereau. Marie-Thérèse conserve encore pendant quelques années l’administration de la seigneurie. En juillet 1738, par un bail de trois ans, elle cède l’administration de la seigneurie à son fils. Peu avant son décès, elle se retire dans la maison de sa fille, Marie-Louise, où elle s’éteint le 15 février 1739.

 

La seigneurie restera entre les mains de la famille Juchereau jusqu’en 1844, alors que l’arrière-arrière-petit-fils, Antoine-Narcisse Juchereau, doit céder la seigneurie pour des raisons financières. Celle-ci passe aux mains d’un homme d’affaires anglophone, Peter Patterson.

 

Ainsi se termine la vie d’une femme exceptionnelle qui a marqué à sa manière l’histoire de la Nouvelle-France, en démontrant que certaines femmes pouvaient jouer un rôle économique et social important dans une colonie, où sur le plan juridique, la femme est avant tout soumise à l’homme.

 

Manoir de Beauport

 

6.     Étude de différents types de familles seigneuriales

 

Nous allons maintenant étudier le rôle joué sous la colonisation française et la domination anglaise de quatre familles seigneuriales. Deux d’entre elles, les Gaspé et les Tarieu de Lanaudière, sont d’origine noble. Pour sa part, Jean Mauvide illustre bien le rôle que la bourgeoisie a joué comme propriétaires de seigneuries. Enfin, nous verrons de plus près avec la famille Fraser, ce qui a poussé certains anglophones a demandé que leur soient octroyées des seigneuries. Dans tous les cas, le prestige rattaché au titre de seigneur est le facteur déterminant pour demander l’octroi d’une seigneurie ou son achat.

La famille de Gaspé et la seigneurie de Saint-Jean-Port-Joly

 

Le premier seigneur de Saint-Jean-Port-Joly a pour nom Noël Langlois et est originaire de la Normandie. Un mois après son arrivée à Québec, il épouse Françoise Grenier. Il s’établit sur une terre dans la seigneurie de Beauport. C’est son fils du même nom, Noël, qui demande une seigneurie au gouverneur Frontenac. Elle lui est accordée le 25 mai 1677. Au tout début, cette seigneurie est connue sous le nom de Trois-Saumons. Par contre, le nom de Port Joly apparaît en 1680.

 

Noël Langlois manque de ressources financières. Propriétaire de plusieurs seigneuries c’est finalement Charles Aubert de la Chenaye qui l’acquiert. Il est anobli par Louis XIV, en 1693, mais il meurt endetté et l'on doit procéder à la vente de tous ses biens.

 

En 1709, le troisième seigneur de Gaspé, Pierre, prend le nom de son père et y ajoute celui de Gaspé en faisant l’acquisition de la seigneurie de Saint-Jean-Port-Joly. Il partage l’administration de la seigneurie de Saint-Antoine-de-Tilly avec Jacqueline Juchereau de Saint-Denis, son épouse. Sous son administration, la seigneurie connaît un bon développement. Comme beaucoup d’autres seigneurs, il se heurte à la négligence de ses censitaires qui refusent de payer leurs rentes et le cens. Il doit alors avoir recourt à l’intendant pour obtenir justice. Il décède, en mars 1731, et est inhumé dans l’église de Saint-Antoine-de-Tilly. Son seul fils survivant, Ignace-Philippe, lui succède.

 

Madeleine Angélique de Tilly

 

Ignace Philippe Aubert de Gaspé étant mineur, c’est sa mère qui assume l’administration non seulement de la seigneurie de Port-Joly, mais de beaucoup d’autres domaines, dont celui de Saint-Antoine-de-Tilly. Elle éprouve des difficultés financières et doit vendre graduellement d’importantes parties de ses domaines. En 1748, elle est dans l’obligation de se départir de sa seigneurie de Saint-Antoine-de-Tilly qui est vendue à Philippe Noël. Elle met, alors, tout en branle pour sauver la seigneurie de Port-Joly en ayant recours à l’intendant pour forcer les censitaires à remplir leurs obligations. Elle concède de nouvelles terres et n’habite pas Port-Joly, mais Saint-Antoine-de-Tilly, bien que cette seigneurie ne lui appartienne plus. Elle meurt à Québec, en juin 1753, et est inhumée à Saint-Antoine-de-Tilly.

Ignace-Philippe Aubert de Gaspé

 

Ignace-Philippe, quatrième seigneur de Port-Joly, est au centre d’une période particulièrement troublée de notre histoire : la Guerre de la Conquête. Il participe aux campagnes importantes de cette guerre en prenant part à la célèbre bataille de Sainte-Foy.

 

La Côte-Sud subit un traitement militaire très dur, lorsque trois détachements militaires y sont envoyés pour incendier tous les établissements qui s’y trouvent. Kamouraska et Montmagny sont particulièrement visées. Dans la seigneurie des Aubert de Gaspé, seulement deux maisons auraient été épargnées. Le manoir de Port-Joly est incendié.

 

La famille des Aubert de Gaspé doit trouver refuge dans un moulin de la rivière des Trois-Saumons en attendant la reconstruction de leur manoir. La présence permanente d’Ignace-Auguste Aubert de Gaspé dans sa seigneurie permet un développement accentué. Il meurt à Saint-Jean-Port-Joly, en janvier 1787, et est inhumé dans l’église paroissiale.

Marie-Anne Coulon de Villiers

 

Marie-Anne Coulon de Villiers, deuxième seigneuresse de Port-Joly, est la descendante d’une grande famille noble française.

 

Son conjoint, Ignace-Philippe Aubert de Gaspé, étant membre des troupes de la marine, elle doit assumer l’administration de la seigneurie à plusieurs reprises. Elle meurt à Saint-Jean-Port-Joly le 17 mars 1789.

Pierre-Ignace Aubert de Gaspé (1758-1823)

 

Pierre-Ignace est né à Québec peu de temps avant la Conquête. Comme seul héritier du titre, il doit avoir une bonne formation. C’est pourquoi il est inscrit au séminaire de Québec où il étudie jusqu’en 1775.

 

Les Américains envahissent le Canada, en 1775, et se présentent sur les hauteurs de Lévis. Cet événement suscite une vive agitation chez les étudiants du séminaire de Québec qui répondent à l’appel des autorités civiles et religieuses.

 

Il se marie, le 28 janvier 1786, à Catherine Tarieu de Lanaudière avec qui il a sept enfants. Il partage son temps entre Québec et Saint-Jean-Port-Joly. En 1812, il devient membre du Conseil législatif.  Il s’occupe activement de sa seigneurie. Il décède dans son manoir de Port-Joly le 13 février 1823. À cause de la situation financière de son fils, Philippe, il lui lègue seulement la jouissance de ses biens, la propriété revenant en totalité à ses petits — enfants.

Catherine Tarieu de Lanaudière (1767-1842)

 

Elle appartient à une grande famille noble française. À la mort de son mari, en 1823, elle assume la gestion de la seigneurie de Port-Joly. Elle l’administre avec beaucoup de compétence et est très estimée de ses censitaires. Elle meurt à son tour le 13 avril 1842 et est inhumée à Saint-Jean-Port-Joly.

Philippe Aubert de Gaspé (1786-1871)

 

Philippe Aubert de Gaspé est le plus connu des membres de cette famille. Après une descente aux enfers qui le mène jusqu’à la prison de Québec pour dettes impayées, il connaît une renaissance à l’âge vénérable de 79 ans par le biais de l’écriture qui le rend célèbre.

 

Philippe passe pratiquement tout son jeune âge au manoir familial. Il est un enfant adulé et entouré. À l’âge de 7 ans, il côtoie la mort en étant atteint de la typhoïde. Il en échappe miraculeusement grâce à l’intervention d’un médecin d’origine allemande. Durant son enfance, il voit la disparition de nombreux êtres chers comme sa grand-mère, ses tantes, ses sœurs et frères.

 

En 1794, il est envoyé comme pensionnaire à Québec pour parfaire son éducation. Il fréquente d’abord une école privée d’un Monsieur Tanswell. Apparemment, il y fait souvent l’école buissonnière. En 1798, il est inscrit au séminaire de Québec où la discipline est particulièrement stricte. Contre toute attente, Philippe y fut un bon élève, relativement bien doué. Il termine ses études au séminaire de Québec en 1806.

 

Il est parfaitement bilingue. Il choisit d’étudier le droit, ce qui se fait à l’époque dans un bureau d’avocats. Il fait son apprentissage, entre autres, au bureau d’Olivier Perreault. Durant la guerre de 1812-1813, Philippe obtient une commission de lieutenant et sert dans le bataillon de Québec. Quelques semaines après son affiliation au barreau, il épouse Susan Allison, le 23 septembre 1811, de qui il aura 13 enfants. Pendant les quelques années qui suivent son mariage, il se lance dans plusieurs activités comme l’immobilier. En 1816, il est nommé shérif du district de Québec. Il semble qu’il s’acquitte très mal de ses nouvelles fonctions, puisqu’il est destitué en novembre 1822. En 1823, il est accusé de détournement de fonds. Il essaie de déclarer faillite, ce que les tribunaux lui refusent. Il est incarcéré à la prison de Québec le 29 mai 1838 et finalement libéré, en 1841, contre une caution importante. Sa mère doit hypothéquer tous ses biens meubles et immeubles pour y parvenir.

 

À la mort de sa tante Marie-Louise, il hérite du titre de coseigneur de Saint-Vallier et Saint-Pierre-les-Becquets. Au décès de sa mère, il devient seigneur usufruitier de Saint-Jean-Port-Joly. Il se met un peu plus tard à l’écriture des Anciens Canadiens qui sont publiés en avril 1863. Ce fut un événement littéraire et cette œuvre se transforme en premier classique de la littérature québécoise. Il écrit un deuxième ouvrage : Mes Mémoires qui paraît en 1866. Il décède à Québec, le 29 janvier 1871, et est inhumé sous le banc seigneurial de l’église paroissiale.

 

Ainsi s’achève l’histoire d’une illustre famille qui a marqué, à sa façon, l’histoire du Québec.

 

Manoir Saint-Jean-Port-Joly

 

Les Tarieu de Lanaudière : une famille noble de la Nouvelle-France et son intégration aux autorités anglaises après la Conquête.

 

Nous voulons illustrer, avec cette famille, le rôle de la noblesse dans l’administration de la colonie au temps de la Nouvelle-France et de son intégration à la nouvelle société britannique après la Conquête. Nous verrons que la noblesse forme une strate particulière de la hiérarchie sociale. Généralement, les nobles se marient entre eux et font tout pour conserver leur statut social. Les Lanaudière illustrent très bien le mode de vie des grands propriétaires terriens membres de la noblesse. Ils font preuve de sens pratique en s’intégrant aux vainqueurs britanniques. En fait, ils n’avaient pas le choix s’ils désiraient conserver leur statut social et les privilèges qui les accompagnent.

Les Lanaudière à la fin du régime français

 

Sous le régime français, les Lanaudière entrent dans la carrière militaire au service du roi. Nous nous intéresserons à deux représentants de cette famille qui ont fait leur marque en Amérique : Charles-François Lanaudière et son fils Charles-Louis.

 

Charles-François est le fils de Pierre-Thomas Tarieu de La Pérade et de la célèbre Marie-Madeleine Jarret de Verchères. Il est activement engagé dans la guerre de Sept Ans. En récompense de ses services, il reçoit la Croix de Saint-Louis, l’une des plus hautes distinctions françaises. Il participe à la bataille des plaines d’Abraham et de Lévis. Son fils, Charles-Louis suit les traces de son père et s’engage à l’âge de treize ans dans le régiment de La Sarre. À l’âge de seize ans, il participe à la bataille de Sainte-Foy comme lieutenant.

 

La carrière militaire est primordiale, puisqu’elle ouvre les portes aux postes de la traite des fourrures. Charles-François de Lanaudière est également seigneur, la possession du sol devenant un symbole important pour le statut social. C’est ainsi qu’il devient seigneur de La Pérade à la mort de son père en 1758.

 

Charles-François pratique avec succès le commerce des fourrures dont il retire de considérables profits en important de France d’importantes quantités de denrées destinées à la consommation de la Nouvelle-France. Il fait également des prêts à des particuliers et des communautés religieuses. Il possède donc une fortune importante pour l’époque.

 

Charles-François fait un mariage prestigieux en épousant, en 1743, Louise-Geneviève Deschamps de Boishébert, fille du seigneur de Rivière-Ouelle. La noblesse étant intimement liée à l’administration et au pouvoir, elle bénéficie des largesses de l’État en recevant des fonctions de prestige et des terres.

 

De cette union vont naître sept enfants dont l’aîné, Charles-Louis, sera le seul survivant. Le couple mène une vie sociale très élaborée à Québec au milieu de l’élite de la colonie. C’est ainsi qu’ils sont les hôtes dans leur maison de Québec des membres de l’administration de la colonie et de la haute hiérarchie militaire, dont Montcalm.

Rester ou partir?

 

Au lendemain de la Conquête et selon les dispositions de la capitulation, 2200 militaires et 1800 fonctionnaires sont rapatriés en France, dont Charles-François et Charles-Louis de Lanaudière. Ils s’installent en Touraine selon les instructions du roi. En compensation, il reçoit une demi-solde avec laquelle il peut subsister. Pendant que Charles-François se retire de la vie militaire, son fils, Charles-Louis, lui demande une somme d’argent importante pour acheter une commission de capitaine, comme c’était la coutume à l’époque. Finalement, la commission d’aide-major lui est accordée.

 

Charles-François peut compter en France sur une fortune imposante, ce qui lui permet de garder un train de vie élevé. Son épouse, Louise-Geneviève Deschamps de Boishébert, décède le 4 juillet 1762. À cette occasion, un inventaire des biens du couple est dressé, ce qui nous fait connaître la fortune de Charles-François. Le couple possède entre autres, les seigneuries de Sainte-Anne-de-la-Pérade et du Lac Maskinongé.

 

En France, Charles-François fréquente plusieurs membres de la noblesse canadienne en exil et même des membres de la branche française de la famille, les Tarieu de Taillant. Pour régler la succession de son épouse décédée, il doit revenir au Canada en 1763. Il ne retournera jamais en France.

 

Plusieurs autres familles de la noblesse canadienne reviennent au Canada, comme les Saint-Ours, LeMoyne de Longueuil, Nirville, etc. Pour toutes ces familles, le passage en France était obligé.

 

Pendant ce temps, Charles-Louis doit revenir au pays pour des raisons financières. Il reçoit la partie de l’héritage de sa mère auquel il a droit, à savoir : la moitié de la seigneurie du Lac Maskinongé et le sixième de la seigneurie de la Rivière-Ouelle.

 

Les membres de la famille de Lanaudière qui occupent des fonctions importantes au temps de la Nouvelle-France font le pari, à cause du prestige de leur famille, de pouvoir s’associer au conquérant britannique. Les Lanaudière tout comme plusieurs familles nobles vont rapidement faire alliance avec les autorités britanniques. Il en va de leur survie. Les Tarieu appartiennent à l’élite de l’ancienne colonie française et sont considérés comme une famille influente. Carleton, gouverneur du Canada, est conscient de l’aide que cette famille peut apporter pour la mise en place du nouveau gouvernement impérial. Dès son retour, Charles-François s’empresse de montrer sa loyauté au nouveau régime. Ainsi Carleton devient le protecteur de la famille. Les nobles demandent le rétablissement des lois et coutumes françaises. Ils veulent non seulement conserver leurs privilèges, mais également occuper des postes dans l’administration du nouveau gouvernement britannique.

 

Charles-François voit sa loyauté récompensée, puisqu’il est nommé dès 1775 au nouveau Conseil législatif. D’ailleurs, d’autres nobles canadiens sont également admis à ce nouvel organisme comme Pierre-Roch de Saint-Ours et Claude-Pierre Pécaudy de Contrecoeur. Ces nobles démontrent un état de dépendance envers les autorités britanniques. Pour eux, il s’agit d’être ou ne pas être.

 

Charles-François décède quelques mois après son entrée au Conseil législatif. Charles-Louis continue l’oeuvre de son père. De retour au Québec, en 1768, dans les circonstances que l’on connaît, il est rapidement appelé par Carleton comme aide de camp et l’accompagne en Angleterre où il séjourne finalement deux ans. Lors de l’invasion américaine de 1775, il démontre sa loyauté envers la couronne britannique. Le clergé et la noblesse appuient intensivement les autorités britanniques, pendant qu’au mieux, les habitants demeurent neutres ou, pire encore, appuient les Américains. Durant ce conflit, il subit de lourdes pertes dans sa seigneurie de Sainte-Anne-de-la-Pérade.

 

Comble de malheur, en juillet 1778, Carleton quitte la colonie. Avec ce départ, il perd son protecteur. Il ne réussit pas à faire valoir ses états de service auprès du nouveau gouverneur et entre dans une disgrâce relative jusqu’en 1786.

 

Il fait de multiples demandes pour être nommé au Conseil législatif. En 1783, il décide de se rendre à Londres pour plaider sa cause. Il supplie Carleton de l’appuyer dans ses démarches. En 1786, Carleton élevé à la pairie, sous le nom de lord Dorchester, est nommé gouverneur général du Canada. Avec l’aide de son protecteur, Charles-Louis est nommé grand voyer du Québec et membre du Conseil législatif où il reste en fonction jusqu’à son décès en 1811.

 

Charles-Louis se met en opposition avec la noblesse en demandant l’abolition de la tenure seigneuriale et des privilèges qui y sont rattachés. La constitution de 1791 prévoit que toutes les nouvelles terres sont attribuées en franc et commun socage selon la coutume anglaise. De plus en plus, la tenure seigneuriale est considérée comme une embûche au développement économique du Bas-Canada. Ce n’est que bien plus tard, qu’elle sera abolie.

 

Charles-Louis considère que les deux peuples sont égaux, mais croit fermement à la supériorité des valeurs britanniques. Pendant ce temps, les trois fils du second lit de Charles-François s’impliquent activement dans le gouvernement britannique et trouvent dans la milice le retour aux traditions militaires de la famille. Somme toute, les Lanaudière s’en tirent très bien et continuent à exercer une certaine influence dans le Bas-Canada.

La fortune familiale

 

Les Lanaudière sont de grands propriétaires terriens et possèdent plusieurs seigneuries Sainte-Anne-de-la-Pérade, Saint-Vallier, Saint-Pierre-les-Becquets, Lac Maskinongé. La famille possède d’importants capitaux placés en France et continue à faire du commerce.

Les alliances des Lanaudière après la Conquête

 

Le mariage a une grande importance chez les nobles canadiens. Il est primordial de rester dans sa strate sociale. Souvent, l’alliance se fait pour des raisons économiques. Après la conquête, la noblesse veut se rapprocher de la haute société anglaise.

Il arrive parfois qu’il y ait des unions entre des membres de la société canadienne et britannique. Habituellement, l’union se fait à l’intérieur du cercle fermé de l’élite canadienne.

Jean Mauvide, seigneur à l’Île d’Orléans

 

Jean Mauvide est l’exemple typique du « self made man », celui qui réussit à monter dans l’échelon social par la force de son talent et non par sa naissance comme c’est le cas pour la famille Tarieu de Lanaudière.

 

Il est né à Tours sur la Loire le 6 juillet 1701. Son père  est maître-maçon. Jean sait lire et écrire, ce qui lui ouvre les portes pour des études comme chirurgien. Il commence sa carrière comme chirurgien de navires. Plus tard, vers 1720, il décide de s’établir dans la colonie dans le même but. À l’encontre des autres chirurgiens de l’époque, il juge bon de se fixer à l’Île d’Orléans. C’est un métier relativement bien payé et il emménage dans une communauté particulièrement prospère. En effet, l’Île d’Orléans est alors l’une des régions les plus riches de la Nouvelle-France. La vie de l’habitant d’ici est plus rentable que son vis-à-vis français. Les habitants y produisent même des surplus qui sont vendus à l’extérieur de l’île. Il épouse, en 1733, Marie, l’une des filles du forgeron, Charles Genest, lui permettant de cette façon de s’intégrer plus facilement à la population locale.

 

Le travail de chirurgien et de commerçant

 

Le chirurgien, tout comme le curé, est souvent près des gens au moment de l’acte ultime de leur vie. C’est en ce sens que Jean Mauvide prend racine sur l’Île d’Orléans et que son influence, au cours des ans, prend de l’importance. En plus de soigner les malades, le chirurgien des campagnes vend des remèdes qui amènent certains soulagements chez ses patients. En effet, le chirurgien de campagne est également apothicaire, lui donnant un revenu supplémentaire non négligeable. En 1732, il obtient une reconnaissance officielle de chirurgien par les autorités de la colonie. Cela lui apporte une plus grande crédibilité auprès de la population.

 

La fonction de chirurgien peut être très profitable dans le domaine économique durant une épidémie ou le contraire lorsque la majorité des citoyens se portent bien. C’est pourquoi il faut au chirurgien une activité complémentaire comme le commerce ou participer à des fonctions juridiques en tant que notaire, greffier huissier, etc. Jean Mauvide est particulièrement actif dans le domaine du commerce. C’est d’ailleurs le succès qu’il y obtient qui va lui permettre d’acquérir la seigneurie de l’Île d’Orléans.

 

En 1732, il se lance dans le commerce des navires. De plus, il achète plusieurs parts de terres ou parts d’héritages. En effet, au décès des parents d’une communauté la terre est divisée entre les enfants à parts égales. Lorsqu’il y a entente dans la famille, un des membres peut racheter la part de ses frères et sœurs et ainsi conserver le patrimoine familial. En cas de mésentente, on doit vendre la terre. C’est ici que Jean Mauvide peut intervenir et racheter des portions de terre. Dans chaque cas, Mauvide se fait un devoir de payer les taxes de lods et ventes au seigneur. Ainsi, il fait sa place sur l’Île d’Orléans en devenant partenaire commercial de plusieurs de ses concitoyens sous différentes formes, la navigation étant certes la plus importante.

Intégration à la communauté de l’Île d’Orléans

 

Marié en octobre 1733, le jeune couple s’établit sur un morceau de terre que Jean Mauvide achète à son beau-père. Il y fait construire une maison en pierres de grandeur moyenne. Avec le temps, il développe son propre réseau de voisinage et de partenaires. Il réussit à avoir des contacts sociaux et souvent commerciaux avec beaucoup de voisins et d’agriculteurs de la paroisse Saint-Jean. Il semble que Mauvide et sa famille vivent dans un confort qui indique une prospérité certaine de la population de l’Île d’Orléans.

 

Une fois marié, il acquiert avec son épouse six parts d’héritage sur huit de la terre d’un voisin décédé, devenant ainsi un propriétaire terrien respectable. On sait qu’il pratique la pêche industrielle et d’autres activités commerciales qui indiquent une ascension sociale et économique avec son milieu.

 

 Il joue, donc, un rôle important dans la construction du chemin du Roy sur l’île. En effet, un chemin terrestre devient indispensable pour le développement de l’île. Les déplacements par la navigation deviennent insuffisants, puisque de nouveaux rangs sont ouverts à l’intérieur de l’île. Une occasion spéciale lui permet de monter à nouveau dans l’échelon social de l’île parce que le seigneur de l’Île d’Orléans, le chanoine Ambroise Gaillard qui réside à Québec, éprouve de sérieuses difficultés à assurer l’ensemble de l’administration de sa seigneurie. Le 12 octobre 1749, il accepte de confier à Jean Mauvide la perception des redevances en retard à des conditions très avantageuses pour ce dernier.

 

Cinq mois plus tard, Jean Mauvide devient le procureur spécial du seigneur avec tous les droits et devoirs qui lui sont dévolus. Il obtient en plus l’exploitation des quatre moulins banaux de la seigneurie. Il semble qu’il s’acquitte très bien de cette tâche, ce qui lui donne le goût d’acheter la seigneurie.

Jean Mauvide devient seigneur de la moitié de l’Île d’Orléans

 

En octobre 1752, après trois ans de fermage, il veut négocier l’achat de la moitié de la seigneurie. La seigneurie avait déjà été séparée en deux, une moitié appartenant à Joseph-Ambroise Gaillard et l’autre moitié aux trois enfants mineurs de feu Jean-Baptiste Gaillard. Le chanoine Ambroise Gaillard se montre très réticent à vendre sa part de la seigneurie, mais il y consent finalement en imposant de lourdes conditions.

 

Jean Mauvide s’engage en premier lieu à respecter l’entente de 1738 qui sépare la seigneurie en deux parties. Il enlève de la vente le moulin banal de Saint-Pierre, ce qui est contraire à la loi, puisque ce dernier doit obligatoirement faire partie des biens du seigneur. De plus, il consent à ne pas hypothéquer la seigneurie du vivant du chanoine. Dans l’éventualité où Mauvide serait obligé d’hypothéquer son domaine, le chanoine se réserve le droit de redevenir seigneur de l’île sans aucune compensation. De plus, Jean Mauvide s’engage à verser annuellement une rente de 2000 livres. Le prix total se monte à 30 000 livres dont 20000 sont prêtées à raison d’un taux usuraire pour l’époque de 10 %.

 

Fait important, son épouse signe conjointement avec lui l’acte de vente. Pendant une quinzaine de mois, elle assume même la tâche de l’administration de la seigneurie en l’absence de son époux. Elle y fait preuve d’un sens de l’initiative remarquable. Jean Mauvide obtient ainsi un pouvoir politique important et une position sociale de premier plan. Il décide avec sa conjointe de construire un manoir digne de leur position sociale, à savoir une résidence qui se distingue en la comparant aux autres manoirs de la Nouvelle-France.

La Conquête et les difficultés économiques qu’elle apporte

 

Après1757, avec le blocus anglais, les activités économiques sont difficiles. En mai 1759, le gouverneur ordonne l’évacuation de tout le territoire à l’est de Québec ainsi que l’Île d’Orléans.

 

La population doit se réfugier dans les bois de Charlesbourg. En août de la même année, les Britanniques envahissent l’île où ils procèdent à une série de pillages. Heureusement, le manoir est épargné. Mais pour l’ensemble des habitants de l’île, c’est presque la ruine.

 

Jean Mauvide et son épouse décident de demeurer en Nouvelle-France plutôt que de retourner en France comme plusieurs autres seigneurs. Il revient à la pratique de la médecine. De plus en plus, il joue le rôle de défenseur de la population auprès des autorités britanniques. Fait intéressant, James Murray achète l’autre moitié de la seigneurie de l’île de la famille Gaillard. La moitié appartenant à Jean Mauvide semble plus développée que celle de James Murray. Jean Mauvide fait alors face à de sérieuses difficultés financières et ne peut s'acquitter  de ses obligations envers le chanoine Gaillard. Heureusement, ce dernier se montre de bonne foi et parvient à passer une entente finale.

 

En 1773, il marie sa fille aînée à René-Amable Durocher, un marchand prospère de la vallée du Richelieu. En 1779, il vend sa seigneurie à son gendre se réservant le rôle social de seigneur jusqu’à sa mort. Il décède, en mai 1782, un an après son épouse. Il laisse un bel héritage. Amable Durocher va s’empresser de rembourser le plus rapidement possible les sommes de cet héritage dues aux enfants du couple Mauvide.

 

Les enfants de Jean Mauvide, Jean et Laurent, n’ont pas d’enfants mettant un terme au nom Mauvide. Le couple Marie-Anne Mauvide et René-Amable Durocher connaît des embarras financiers à partir de 1783. Ce dernier décède en 1786. C’est Marie-Anne avec les autres héritiers de son mari qui continuent à administrer la seigneurie jusqu’à son décès en 1799. Puis, c’est un armateur de Québec qui devient, alors, propriétaire de la seigneurie.

 

Finalement, c’est en 1920, qu’un descendant de Marie-Anne Genest, le juge Camille Pouliot, achète le manoir et le restaure.

 

Manoir Mauvide, Saint-Jean-Port-Joly

                 

 

Chapelle, salle à manger et foyer de la cuisine

  

 

7.     Les seigneuries de Mount Murray et Murray

 

Le 27 avril 1762, James Murray gouverneur de Québec concède un fief au lieutenant Malcolm Fraser : Mount Murray.

 

Le même jour, une autre concession du général John Murray est faite en faveur du lieutenant John Nairne, qui devient seigneur de Murray. Ces concessions sont faites aux deux lieutenants en récompense des services rendus durant la guerre de 1760. Ces deux territoires faisaient partie, sous le régime français, du Domaine du Roi. À la même époque, La Malbaie a servi de poste de ravitaillement et deux fermes y sont établies. Comme les Britanniques désirent développer cette région, ces deux concessions sont faites à cette fin.

Malcolm Fraser

 

Malcolm Fraser est né, le 26 mai 1733, à Abernethy, Écosse. Il est le fils de Donald Fraser et de Janet McIntosh. Il fait partie des Fraser’ s Highlanders comme enseigne d’infanterie. Il participe aux sièges de Louisbourg et de Québec. À la bataille des Plaines d’Abraham, il est blessé et promu lieutenant. Il fait donc partie avec Nairme de l’armée qui envahit le Canada durant la guerre de la Conquête. La guerre terminée, ils sont mis à la retraite de l’armée active. Après avoir reçu la seigneurie de Mount Murray, Fraser fait une demande de concession pour obtenir 2000 acres de terres en pleine propriété. Ce territoire lui est octroyé, le 6 novembre 1764, en franc et commun socage et non en fief de seigneurie.

 

Fraser est un personnage particulier dans sa vie privée. Il a plusieurs enfants illégitimes, dont cinq avec Marie-Louise Allaire qui habite chez sa mère dans la seigneurie de Beaumont. De plus, quatre enfants naissent de sa liaison avec Marie-Josèphe Ducros. Ses deux familles vivent de chaque côté du fleuve, la première à Rivière-du-Loup et la seconde à Mount Murray. En outre, il se marie légitimement avec Magery McCord. Dû à un manque de documents civils, nous savons peu de chose sur l’union entre Malcolm Fraser et Magery McCord. Son nom est toutefois mentionné dans un acte officiel de vente d’une terre de Richard Murray à Malcolm Fraser : « and Magery MacCord his wife ». De cette union, il aura une fille, Juliana, dont l’acte de naissance officiel n’a jamais été retrouvé.

Les débuts de la seigneurie

 

On peut comparer l’attitude de Nairne et Fraser pour le développement de leur seigneurie respective. Ainsi, Nairne s’installe à La Malbaie avec son épouse écossaise en 1766. Dès 1770, il commence à concéder des terres. Pour sa part, Malcolm Fraser habite Mount Murray entre 1763-1765 en compagnie de Marie Allaire. En 1765, il loue sa ferme du Comporté à un militaire, John Fraser. Malcolm peut ainsi s’acquitter de ses obligations seigneuriales. À partir de là, Malcom Fraser va s’occuper davantage de ses intérêts sur la Rive-Sud. Il faut souligner que durant cette période, il y a beaucoup de mutations de propriétés puisqu’après le Traité de Paris, les Français ont une période de dix-huit mois pour liquider leurs biens s'ils veulent retourner en France. Dans ce cas, ils ont l'obligation de vendre leurs biens seulement à des sujets britanniques.

La seigneurie de Mount Murray vers 1785

 

La seule terre concédée est celle dite la Comporté qui existe déjà au temps de la Nouvelle-France. En 1784, Malcom Fraser concède 23 terres, toutes situées le long de la rivière La Malbaie. Ce sont les meilleures terres de sa seigneurie. À la même époque, John Nairne, de la seigneurie voisine, se fait construire un imposant manoir. Il a déjà établi plusieurs censitaires et s’occupe personnellement du développement de sa seigneurie. Pour sa part, Malcolm Fraser, qui vient dans sa seigneurie durant l’été et l’automne, procède à l’ouverture de deux rangs, celui de Cap-à-l’Aigle et du nord-est. Toutes les rives de la rivière La Malbaie sont ainsi occupées.

 

Le premier manoir est sans doute construit à la Pointe Fraser. Fraser décide de construire un manoir parce qu’il va y installer une deuxième famille. En effet, en 1790, il s’unit à Marie Ducros et s’établit à la Pointe Fraser. De cette union naissent quatre enfants.

 

Le domaine personnel de Malcolm Fraser comporte à l’origine trois fermes :

·         la ferme de la Comporté qui est donné à bail ;

·         la petite ferme, au nord de la ferme de la Comporté ;

·         la ferme de la Pointe Fraser, où il fait construire une maison qui deviendra le premier manoir seigneurial.

 

 

De plus, Fraser fait construire deux moulins à scie, ce qui semble très lucratif, car il prend la peine de se réserver la forêt de pins lorsqu’il concède des terres. Vers 1796, sous la pression de ses censitaires, il fait bâtir un moulin à farine. Il doit, également, voir à la construction d’une route menant à La Malbaie. Mais pour construire une route il faut demander l’autorisation d’un fonctionnaire gouvernemental, le grand voyer, qui seul, après enquête, peut autoriser la construction d’un chemin. Il est alors construit par les habitants sous la direction du voyer de la paroisse, généralement le capitaine de milice.

Les revenus d’une seigneurie

 

Les principales sources de revenus sont : la rente seigneuriale, les baux des fermes du domaine seigneurial, les droits de lods et ventes et les droits de pêche. Mais ce qui rapporte le plus ce sont les moulins à scie et à blé.

Le banc du seigneur ou les prérogatives des seigneurs

 

Les seigneurs tiennent beaucoup à leurs privilèges. Les seigneurs anglophones désirent eux aussi leur banc dans l’église. L’église de La Malbaie pose un problème, puisqu’on retrouve deux seigneuries sur son territoire avec deux seigneurs. Le curé s’en réfère à son évêque qui rappelle que le banc seigneurial doit être accordé au seigneur de la seigneurie où est bâtie l’église. Ainsi, le seigneur de Mount Murray aura un simple banc comme les autres fidèles.

Le testament de Malcolm Fraser

 

Le testament du seigneur Fraser date de 1812 et est écrit de sa main. Dans ce document, tous ses enfants sont mentionnés ainsi que ses deux conjointes.

 

Il cède sa seigneurie de Mount Murray à William et John Malcolm, tous deux nés de son union avec Marie Ducros. C’est ainsi que William reçoit la ferme de la Pointe Fraser et tout le territoire de la seigneurie situé le long du Saint-Laurent incluant tous les moulins. Si William meurt sans postérité, sa part reviendra à John.

 

John reçoit la ferme de la Comporté, la petite ferme et tout le reste du territoire de la seigneurie. Comme pour Williams, s’il meurt sans postérité sa part reviendra à William. Dans le cas où les deux mourraient sans descendance, la seigneurie reviendrait à Simon Fraser.

 

Fait particulier, il lègue sa seigneurie de Mount Murray à ses enfants de la Rive-Nord alors que ses biens de la Rive-Sud seront octroyés à sa deuxième famille.

Malcolm Fraser meurt le 15 juin 1815. Il aura été seigneur pendant 53 ans. Ce fut un homme d’affaires averti qui a bien protégé ses avoirs.

William Fraser

 

William  passe son enfance au manoir seigneurial. Il fait des études en médecine et obtient sa licence, en juillet 1817. Il épouse Mathilde Duberget, en 1817. La seigneurie avait été donnée à bail par Malcolm Fraser à François Perreault, marchand de Kamouraska. À la mort de Perrault, sa veuve hérite du bail qui revient finalement à John Fraser. C’est un homme de confiance à qui William concède une terre à même le domaine seigneurial. À son tour, John Fraser, qui réside à Québec, nomme comme procureur spécial Amable Bélanger pour toutes les affaires de la seigneurie. Hors, celui-ci est marié à Anne Fraser soeur de William. Ainsi, la seigneurie est administrée par des procureurs et des fermiers qui sont sur place. Il faut attendre, en 1820, pour que William prenne en main le développement de sa seigneurie.

 

Le commerce du bois marque l’économie de cette époque. Autour de La Malbaie, une vingtaine de moulins à scie sont érigés. C’est ce qui constitue le principal revenu de la seigneurie. Le commerce se développe rapidement et une nouvelle classe sociale apparaît avec les marchands qui vont acheter ou louer des moulins à scie pour faire le commerce du bois devenu très lucratif. Le bois est donc bûché dans les forêts proches de La Malbaie. Ce commerce a une grande influence sur le développement de la construction de goélettes.

 

En juillet 1824, William Malcolm procède à la confection d’un papier terrier de l’ensemble de la seigneurie. Tous les censitaires sont ainsi tenus de déclarer leurs possessions en présentant leurs titres. C’est le notaire Charles Huot de Baie-Saint-Paul, qui est mandaté pour procéder à sa confection. Ce document donne toutes sortes de renseignements sur les habitants et leurs possessions. Par la suite, John Fraser rend foi et hommage devant le gouverneur, le 5 mai 1823. Au niveau du transport, le plus important projet est celui de la construction d’un pont sur la rivière La Malbaie. Le premier geste posé est une requête faite par 37 propriétaires de la région au grand voyer pour qu’il vienne vérifier de la nécessité de la construction du pont.

 

 

Celui-ci fait enquête et dresse un procès-verbal qui est homologué par la cour. Il nomme six syndics parmi les propriétaires qui ont la charge d’administrer les fonds prélevés chez les habitants au prorata de la dimension de leurs terres. Le coût élevé du projet va susciter de vives oppositions. Le pont est finalement construit durant l’été 1818.

 

La justice se réglait souvent par l’usage de l’arbitrage. Par contre, William Fraser est juge de paix ce qui lui donne des pouvoirs pour traiter les causes civiles moins importantes. Plus tard, il est nommé à la Cour des commissaires pour les causes de recouvrement des dettes moins importantes.

Nouvelle concession des terres

 

Durant les années 1822-1830 William, Fraser concède plus 115 lots. Le phénomène des terres à bois se multiplie, puisque ce commerce est très florissant.

Un nouveau manoir seigneurial

 

En 1826, William Fraser met en branle un grand projet : la construction d’un manoir pour remplacer l’ancien aux proportions trop modestes pour lui. Il change d’endroit et le situe sur le bord du chemin du Roy menant au Cap-à-l’Aigle. Il est assez vaste avec deux étages et une dimension de 46 par 36 pieds. William Fraser doit emprunter pour le faire parachever. En 1828, il donne procuration à Georges Duberger pour recevoir tous les revenus de rentes, fermages et autres droits, ne conservant que les contrats de concession.  En 1830, William malade et fatigué nomme George Berger et William Davis comme ses agents et procureurs. Il meurt finalement dans son manoir, le 12 août 1830, à l’âge de 36 ans.

 

Son épouse, qui est légataire universelle, renonce à la succession, les dettes étant plus élevées que ses avoirs. On doit donc procéder à la vente des biens. C’est son frère John  qui acquiert la majorité des biens.

John Fraser

 

John prend donc possession de toute la seigneurie de Mount Murray. Né à La Malbaie, en 1800, il s’établit à Québec. Il épouse Grace Forsyth qui lui donne deux enfants Mary et Grace. Son épouse décède prématurément, en janvier 1836, à la naissance de Grace. Il est nommé au Conseil législatif de la province en 1837.

 

Au décès de son frère, il donne les pleins pouvoirs pour administrer la seigneurie à William Davis et Thomas Simard. Après deux ans, William Davis retourne à Québec, forçant John Fraser à reprendre l’administration de sa seigneurie. Il ne l'habite que pendant l’été, laissant à sa soeur, Anne, l'administration en son absence. Vers 1840, le notaire Édouard Tremblay devient à son tour son agent pour administrer la seigneurie. En plus, il donne de nombreuses procurations à d’autres personnes pour différents motifs, comme celui de concéder des terres. William ayant laissé beaucoup de dettes, John entreprend de les acquitter.

 

Il reçoit de son frère Alexandre, en don, toutes les îles en face de la Rivière-du-Loup, devenant ainsi seigneur de la Rive-Sud. Le peuplement de sa seigneurie se poursuit par l’ouverture de nouveaux rangs. Plusieurs censitaires ne paient pas leurs rentes et reconnaissent être en dettes avec leur seigneur. Sans doute, le système seigneurial commence à montrer de l’usure.

 

John Malcolm continuera à améliorer le domaine seigneurial. Il pourra toujours compter sur les cinq fermes qui lui appartiennent en propre et qui sont données en fermage. Il peut également tabler sur les revenus du seul moulin à farine de la seigneurie et quelques moulins à bois.

Le développement de la seigneurie de 1830 à 1845

 

Cette période est marquée par des évènements économiques importants : Une grave crise économique sévit entre 1833 et 1840 dans Charlevoix comme dans le reste du Québec. La situation est tellement critique que la Chambre d’assemblée vote une loi pour aider les plus pauvres en leur procurant des grains de semence. John Fraser lui-même estime que près de la moitié de la population de la région manque de nourriture. Les fabriques sont appelées à aider les pauvres de leurs paroisses.

 

D’autres évènements permettent d’améliorer un peu la situation des pauvres gens. En effet, la tentative d’exploitation forestière de la Compagnie de la Baie d’Hudson étant un fiasco, celle-ci accepte finalement d’ouvrir le territoire au commerce du bois.

 

En septembre 1837, les évènements se succèdent rapidement. On assiste à la naissance de la Compagnie des 21. Le 25 avril 1838, la goélette Sainte-Marie quitte La Malbaie pour aller créer les premiers établissements forestiers du Saguenay. Elle compte 27 personnes.

C’est le début de la colonisation d’un nouveau territoire : le Saguenay. On assiste alors à une véritable ruée de peuplement le long du Saguenay. John Fraser ne semble pas intéressé par le commerce du bois qui touche pourtant fortement sa seigneurie. Il doit se résoudre finalement à concéder des terres à bois pour pouvoir en récolter les rentes.

Organisation sociale

 

La région est toujours sous le régime seigneurial. Les deux seigneurs de la région doivent donc représenter l’autorité. Comme le seigneur de Mount Murray n’habite pas sa seigneurie, il ne semble pas avoir une grande influence dans la région.

 

La paroisse demeure une organisation très proche des gens. Elle a la responsabilité de l’état civil. Durant cette période, l’influence du curé ne semble pas trop importante étant donné la rareté des prêtres. La paroisse de La Malbaie reçoit sa reconnaissance civile en 1837. Cependant, les marchands tiennent un rôle important dans le développement économique de la région, particulièrement pour le commerce du bois. Enfin, les notaires jouent un rôle prépondérant dans leur communauté autant pour la concession que la vente des terres. On fait également appel aux notaires pour l’application des lois scolaires. Ces derniers peuvent également servir d’arbitre en cas de litiges civils.

 

Il ne faut pas oublier la place considérable occupée par les officiers de la milice. C’est d’abord un rôle militaire très important à l’époque. Il est porte-parole de l’administration. Il joue quelquefois un rôle policier. Il s’occupe aussi de la construction de routes dans les seigneuries en tant que sous-voyer.

 

Avec le temps, la seigneurie de Murray Bay se développe beaucoup plus rapidement que celle de Mount Murray, cette dernière étant beaucoup moins peuplée que la première. C’est le commerce du bois qui assure surtout le développement de Mount Murray. La région de Charlevoix va connaître une saignée importante de sa population au profit du Saguenay.

John Fraser et la fin d’un long règne

 

Durant les dernières années du règne de John Fraser, la région de La Malbaie continue à fournir la majeure partie des colons du Saguenay. En 1846, une nouvelle loi donne à chaque paroisse une commission scolaire dirigée par des commissaires élus, mais avec obligation d’une cotisation de la part des parents.

 

À cause de la taxe scolaire, il y a un rejet par la population du système d’écoles publiques. Malheureusement, beaucoup de ces commissaires sont illettrés et ne croient pas à la nécessité d’une école où les propriétaires doivent contribuer par une taxe spéciale. Mais avec le temps, les oppositions s’atténuent et un système d’écoles publiques est finalement mis en place.

L’abolition du régime seigneurial

 

Ce régime de distribution des terres, qui vient du régime français, n’a jamais plu aux autorités anglaises, mais, dans un premier temps, ils durent s’en accommoder. Les seigneuries de Murray et Mount Murray sont parmi les dernières accordées sous ce régime par les autorités anglaises. L’Angleterre pratique le modèle de propriété en « franc et commun socage » c’est-à-dire en pleine propriété.Vers 1850, on constate que ce système nuit au développement du commerce et de l’industrie, d'où la décision d'y mettre fin. Ce n’est qu’en 1854 que la loi ayant pour titre « Acte d’abolition des droits et devoirs féodaux au Bas-Canada » est finalement votée par le parlement du Canada-Uni.

 

Cette loi apporte de profonds changements à la vie sociale des Canadiens français. En effet, elle abolit toutes les obligations du seigneur envers ses censitaires et des censitaires envers leur seigneur. Le seigneur devient ainsi pleinement propriétaire de son domaine et des terres non concédées. Par contre, le censitaire demeure à son tour pleinement propriétaire de sa terre sans aucune obligation envers le seigneur. Le seigneur perd également tous ses droits honorifiques.

 

La couronne défraie une partie des compensations accordées aux seigneurs, pendant que les habitants doivent payer une rente équivalente à 6% de la valeur de leur terre au seigneur. Cette rente sera payable annuellement ou pourra être radiée d’un coup en payant l’intérêt et le capital.

 

Pour mettre cette loi en application, on nomme des commissaires pour préparer des cadastres de chaque seigneurie. Cela est fait pour permettre de déterminer la valeur totale des seigneuries et les compensations monétaires qui sont dues à chaque seigneur. De plus, une cour spéciale est instituée, composée de 9 juges qui doivent répondre aux 46 questions posées par le procureur général du Canada-Uni. Constituée en 1855, la cour rend ses jugements en 1856. Elle reconnaît le principe des compensations financières pour les seigneurs et plusieurs points de droit.

 

C’est en décembre 1858 que sont déposés les cadastres des deux seigneuries Murray Bay et Mount Murray.

 

Le seigneur de Mount Murray, à l’exemple de beaucoup d’autres, s’oppose vivement à la nouvelle loi. En effet, John Fraser craint les taxes émises par les nouvelles municipalités venant d’être créées. Il essaie par l’intermédiaire de la cour spéciale de faire augmenter la valeur de sa seigneurie qui est finalement évaluée autour de 34 000 $, somme quand même importante pour l’époque. La plupart des habitants doivent payer annuellement la nouvelle rente constituée. Ce vestige du régime seigneurial demeure en vigueur pendant plusieurs décennies, pour être finalement aboli par Maurice Duplessis en 1940.

 

Presque en même temps que la fin du régime seigneurial, on assiste à la naissance de l’implantation du régime municipal. En 1845, une nouvelle loi est votée pour la formation de municipalités de paroisse qui doivent s’occuper de l’entretien des chemins et de plusieurs autres domaines connexes. Ces nouvelles municipalités reçoivent le pouvoir d’imposer des cotisations pour couvrir leurs dépenses selon la valeur des propriétés.

 

Dans Charlevoix, comme ailleurs dans les paroisses, c’est la cotisation annuelle qui cause des problèmes et même la révolte des propriétaires fonciers. Les habitants voient leur univers traditionnel s’écrouler au profit d’une nouvelle structure d’origine britannique.

Le décès de John Malcolm Fraser

 

John Malcolm Fraser décède le 16 avril 1860. Trois jours avant sa mort, il convoque ses créanciers pour régler le remboursement de ses dettes qui sont élevées. Ses deux principaux créanciers consentent à prendre possession de tous ses biens et à les vendre pour le payement de ses dettes. En vertu de cette entente, les créanciers doivent renoncer à réclamer leurs pleines créances.

 

Cependant, fait important, John Malcolm n’était pas propriétaire de la seigneurie tout comme son frère William. Ils n’en sont que les usufruitiers. Ce sont les deux filles de John Malcolm, Mary et Grace qui héritent de la seigneurie.

 

Les deux soeurs décident de séparer la seigneurie en deux parties complètement indépendantes l’une de l’autre. Mary devient ainsi propriétaire de la partie de la seigneurie qui se trouve le long du fleuve Saint-Laurent pendant que Grace est propriétaire de la partie du long de la rivière Murray.

 

John Malcolm Fraser a été vraisemblablement un mauvais homme d’affaires, sa seigneurie s’étant développée la plupart du temps par procuration puisqu'il habite Québec.

La suite des choses...

 

Mary et son mari administrent la seigneurie ensemble jusqu’en 1879, date du décès de Mary. La seigneurie passe alors aux mains de son fils, John Fraser, en laissant l’usufruit à son époux sa vie durant. Ce dernier décède à son tour, en 1888, laissant à son fils, John, la partie de la seigneurie qu’il a achetée de Grace. La seigneurie est à nouveau unifiée. John Fraser est donc le dernier descendant de la famille Fraser qui est propriétaire de Mount Murray. En 1902, ce dernier vend la seigneurie à George Bonner, un courtier de New York d’origine canadienne. À sa mort, en 1924, il lègue la seigneurie à sa fille aînée, Maud, épouse de Francis Higginson Cabot, le grand-père du fiduciaire actuel, Francis.H. Cabot, décédé en novembre 2011 à l’âge de 86 ans.

 

           

Manoir Cabot, Mount Murray

 

           

Manoir Naim, La Malbaie

8.     Le système seigneurial et les relations avec les Indiens

 

Le système seigneurial mis en place par le roi de France devait d’abord servir à effectuer le peuplement de la Nouvelle-France. Comme nous l’avons vu, il a également servi à assurer à certaines communautés religieuses des revenus suffisants pour assurer des missions sociales précises comme l’éducation et le soin des malades. À ces missions sociales de bases, le roi de France voudra ajouter une autre mission très importante pour la survie de la colonie, soit la christianisation et la sédentarisation des peuplades amérindiennes.

Cette mission est confiée à deux communautés religieuses qui ont joué un rôle primordial dans l’histoire de la Nouvelle-France : les Jésuites et les Sulpiciens.

Pour illustrer cette fonction importante de ces deux groupes religieux, nous procéderons à l’étude de quelques cas précis.

La seigneurie de Sillery

 

En 1651, est accordée aux « sauvages chrétiens » la seigneurie de Sillery qui sera sous la tutelle des Jésuites. L’année suivante, ces derniers prennent possession de la seigneurie de Sillery en tant que tuteurs des Hurons. Notons que les Jésuites sont propriétaires en propre de la seigneurie voisine de Saint-Gabriel. Au cours de plusieurs transactions, le territoire de la seigneurie de Sillery est réduit au profit des seigneuries avoisinantes, et ce sans aucune compensation.

En 1690, les Jésuites font une requête au roi France pour que la seigneurie de Sillery leur soit accordée en propre en tenant compte des grandes dépenses qu’ils ont faites pour la sédentarisation et la christianisation des « sauvages ». Le 3 mai 1702, Louis XIV cède officiellement la seigneurie de Sillery aux Jésuites.

Avec la Conquête, les autorités anglaises veulent prendre possession des biens des Jésuites. Comme Rome a aboli l’ordre des Jésuites, la Couronne se dit en droit d’en disposer.  Malgré tout, les Jésuites demeurent en possession de leur patrimoine jusqu’au décès du dernier des leurs en 1800.

Toutefois, en juillet 1791, les Hurons font une première d’une série de pétitions pour qu’on leur rende leur seigneurie.

Pour les autorités britanniques, les Hurons ont été propriétaires de leur seigneurie jusqu’au moment où les Jésuites l’ont reçu du roi. Les Hurons feront de nouvelles requêtes en 1807 et 1824 toujours avec des résultats négatifs. En 1846, la Chambre vote une loi qui fait passer ces biens dans les fonds consolidés de la province. Les Jésuites, qui sont revenus au pays depuis 1842, commencent à réclamer la restitution de leurs biens.

Il faudra attendre l’arrivée d’Honoré Mercier au pouvoir pour qu’en 1887 le problème soit finalement résolu. On s’entend pour une compensation de 400 000 $. Le montant est distribué entre les Jésuites et différents diocèses, un montant de 60 000 $ devant être remis aux églises protestantes.

Seigneurie du Sault-Saint-Louis

 

Une nouvelle seigneurie est accordée aux Jésuites cette fois-ci sur la rive Sud du Saint-Laurent près du territoire de la réserve actuelle de Kahnawake. Le roi veut toujours aider à la sédentarisation des Amérindiens, les Iroquois en particulier. Les Jésuites seront propriétaires de ce territoire aussi longtemps que les Iroquois y demeureront, faute de quoi la seigneurie retournera au domaine royal.

Cette terre est réservée pour le village des Iroquois et leur utilisation du sol. Le roi désire qu’elle se développe selon le mode d’occupation amérindien. En 1680, une deuxième concession est faite toujours avec les mêmes conditions.  

Depuis 1760, les Iroquois de Kahnawake réclament une portion du territoire de la seigneurie du Sault Saint-Louis. Ils font plusieurs requêtes en ce sens. En 1996, le Conseil de bande réitère devant le comité parlementaire des Transports du Canada sa réclamation du territoire de la seigneurie du Sault-Saint-Louis englobant Delson, Candiac et une partie de Châteauguay.

Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes

 

La relation entre les Sulpiciens et les Amérindiens commencent à la fin du 17e siècle avec la fondation d’une mission amérindienne au pied du Mont-Royal pour y accueillir les néophytes iroquois, algonquins et hurons. Plus tard, les Sulpiciens déménagent leur mission au Sault-aux-Récollets près de la rivière des Prairies.

En 1717, les Sulpiciens obtiennent la concession d’une seigneurie sur le lac des Deux-Montagnes pour y établir la mission « sauvage » du Sault-aux-Récollets à la condition qu’ils assument toutes les dépenses. La nouvelle seigneurie prend le nom de Lac-des-Deux-Montagnes.

En 1721, les Sulpiciens procèdent au déménagement de leur mission du Sault-aux-Récollets dans la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes. Ils y installent les Iroquois à l’ouest et les Hurons et Algonquins à l’est.

Il faut noter que même si la seigneurie est dévolue à l’évangélisation des Amérindiens, il est prévu que les Sulpiciens pourront toujours conserver leur seigneurie si leur mission d’évangélisation prenait fin. La tension est grande entre les Iroquois et les Hurons.

1840 est une date importante en ce qui concerne les droits de propriété des Sulpiciens puisque cette année-là il y a incorporation des ecclésiastiques du Séminaire de Montréal et confirmation de leur titre de seigneur de l’Île-de-Montréal et de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes.

Les Iroquois se convertissent au protestantisme pendant que les Algonquins quittent la seigneurie parce qu’ils les craignent. Des colons blancs les remplacent rapidement.

En 1853, le Parlement britannique sanctionne formellement le droit de propriété des Sulpiciens sur la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes. Les Iroquois quittent à leur tour la seigneurie en grand nombre pour la nouvelle réserve de Gibson tout en continuant à réclamer les titres de propriété de la seigneurie.

Pendant ce temps, les Sulpiciens vendent des lots à des blancs, leur mission d’évangélisation étant terminée même si elle est un échec.

En 1911, le Conseil privé de Londres (le plus haut tribunal ayant juridiction sur les affaires du Canada) déboute les Amérindiens et confirme le droit de propriété des Sulpiciens.

En 1945, le gouvernement fédéral achète tous les terrains occupés par des Amérindiens appartenant encore aux Sulpiciens pour former un village iroquois qui prendra plus tard (1986) le nom de Kanesatake.

En 1975, les Iroquois réclament la propriété des terres sises le long du Saint-Laurent et de la rivière Outaouais y compris celles du  lac des Deux-Montagnes.

1990 est marqué par la révolte des Iroquois et la fermeture du pont Honoré Mercier. L’armée canadienne doit intervenir à la demande du gouvernement du Québec pour rétablir l’ordre public. Dans la décennie 1990, le gouvernement canadien achète plusieurs terrains appartenant à des blancs pour les céder aux Iroquois. Les Iroquois réclament toujours la propriété de l’ancienne seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes.


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