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Le clergé et les conservateurs
L'intervention de l'Église et les mandements sur la constitution
La constitution et le peuple
Le rôle des curés
Manoeuvres électorales
Le clergé et sa victoire
L'abstentionnisme






Le clergé et la constitution de 1867


Le clergé joua un rôle déterminant dans la mise en place de la nouvelle constitution canadienne de 1867 qui ne suscitait que méfiance et indifférence dans la population canadienne-française. Au milieu du XIXe siècle, les Canadiens français sont encore régis par le régime seigneurial. Il y a bien un système parlementaire depuis 1791, mais les vrais pouvoirs sont détenus par le gouverneur, le Conseil exécutif et le Conseil législatif, dont les membres sont nommés. Avec l’abolition du régime seigneurial en 1850, l’ancienne élite cède le pouvoir à la bourgeoisie d’affaires et les membres des professions libérales, surtout avec l’apparition du gouvernement responsable de 1848.

Ce sont cependant les changements dans l’économie comme l’établissement du chemin de fer et la mécanisation de l’industrie qui vont amener la Confédération de 1867. La responsabilité ministérielle (les ministres doivent répondre de leurs actes directement aux députés) provoque la formation de deux partis politiques. L’un, le « parti rouge », héritier de l’esprit des patriotes, prône une société laïque où l’État contrôle l’éducation et le domaine social. Pour lui, c’est le peuple qui est la source du pouvoir souverain. Ceci est en opposition avec l’Église et le parti libéral-conservateur pour qui le pouvoir repose d’abord sur l’ordre religieux. Ce dernier est composé d’anciens seigneurs, de plusieurs membres de la bourgeoisie d’affaire et de réformistes modérés qui sont satisfaits des réformes apportées par la responsabilité ministérielle. Il favorise une place pour certains Canadiens français influents et appuie les valeurs de l’Église : foi et langue. Le clergé prône la soumission à l’autorité établie avec en retour la promesse de revenus assurés par la dîme et la reconnaissance de son indépendance. C’est donc le parti libéral-conservateur qui facilite le mieux-être du clergé et sa position dominante. Il reste trois objectifs à atteindre pour cette coalition : le maintien de la religion, de la langue et des traditions qui en est le véhicule. Il était donc en position de jouer un rôle important dans la réalisation de la Confédération canadienne. La société canadienne est complétée par une nouvelle bourgeoisie capitaliste parlant surtout anglais. Cette bourgeoisie est issue du milieu de la finance et des transports. Ces capitalistes favorisent un gouvernement central pour parachever le chemin de fer transcontinental, car ils ont un besoin de plus en plus pressant de fonds publics. Le chemin de fer demeure le point central d’un gouvernement fédéral fort qui favoriserait l’intégration économique des colonies britanniques.

Pour réussir cette nouvelle union, on avait besoin de l’appui du clergé et de la bourgeoisie francophone. Cette coalition était absolument nécessaire pour contrer l’opposition des radicaux au projet d’une confédération des colonies britanniques. L’Église dut faire son entrée sur la scène politique en 1867 pour la sauvegarde de son influence et de ses privilèges.


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Le clergé et les conservateurs


De 1854 à 1864, dix gouvernements se succèdent au Canada-Uni, provoquant une instabilité ministérielle chronique. Un comité propose comme solution le système fédéral. Au même moment, les provinces maritimes faisaient la même démarche et pensaient elles aussi à une fédération de leurs provinces. Profitant de l’occasion, le gouvernement du Canada-Uni y envoie huit représentants, dont Georges-Étienne Cartier. Alors, on convient de se réunir à nouveau à Québec.

Le document de Québec établit les fondements d’une nouvelle constitution qui doit être approuvée par les législatures de chaque colonie participante. Déçue de ne pouvoir participer au débat, l’opposition pense à faire échouer le projet aux élections suivantes comme cela s’était produit au Nouveau-Brunswick. En 1865, le gouvernement du Canda-Uni décide alors de ne pas consulter le peuple. Le 10 mars 1865, la législature du Canada-Uni adopte la nouvelle constitution avec une seule voix de majorité chez les députés canadiens-français. Chacune des provinces pouvait entrer dans la nouvelle fédération avec sa propre constitution, ce qui provoque de longs débats, particulièrement pour les droits des minorités. En effet, l’Ontario refuse d’accorder à sa minorité catholique les mêmes droits que ceux accordés au Québec à la minorité protestante. Malgré tout, la nouvelle constitution est proclamée le 1er juillet 1867. Durant la période de négociation, de 1864 à 1867, le clergé ne participe pas publiquement aux débats. La nouvelle constitution garantit à l’Église tous ses droits acquis et confirme sa domination sur la société canadienne-française.

En juin 1864, l’Église accorde son appui à la nouvelle constitution et réfute l’opposition du chef libéral, Antoine-Aimé Dorion. Une seule voix discordante se fait entendre et c’est celle de Mgr Bourget qui est déjà en opposition sur d’autres sujets avec l’épiscopat du Québec. Voyant l’appui implicite qui lui est accordé par le clergé, les conservateurs s’en servent pour combattre leurs opposants. L’Église se méfie des libéraux d’Antoine-Aimé Dorion. Si elle veut garder ses privilèges, elle se doit d’appuyer les conservateurs et leur projet de confédération.

Deux problèmes vont mettre en lumière les droits de l’Église : la question du divorce et celle des droits des minorités. Quant au divorce, on règle la question en transférant au nouveau pouvoir fédéral la juridiction sur le divorce. Mgr Bourget est vigilant, tandis que l’évêque de Québec est facilement plus résigné. Les protestants du Bas-Canada avaient obtenu une chambre haute pour contrebalancer l’influence des catholiques et l’inviolabilité de douze comtés à majorité protestants et anglophones.

La minorité catholique demandait le même traitement. Cartier et la presse conservatrice n’en voyaient pas la nécessité, persuadés «que la bienveillance du Québec envers sa minorité allait naturellement entraîner une réciprocité dans les autres provinces». Les protestants du Bas-Canada en redemandent et exigent la création de deux départements de l’éducation l’un pour les protestants et l’autre pour les catholiques. Malgré l’intervention de l’épiscopat, dont Mgr Langevin évêque de Saint-Boniface, le principe de la réciprocité rencontre une vive opposition chez les députés du Haut-Canada et est rejeté. Mais l’article 93 de l’AANB parle des droits des catholiques en oubliant les droits linguistiques des francophones, ouvrant ainsi la voie à l’assimilation.


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L’intervention de l’Église et les mandements sur la constitution


La crainte que la nouvelle constitution soit amendée si les adversaires rouges étaient élus décide le clergé à entrer directement dans le débat. C’est Mgr La Flèche, évêque de Trois-Rivières, qui suggère la publication d’un mandement aux autres évêques du Québec sur la nécessité d’accepter la nouvelle constitution et de bien la faire fonctionner. Mgr Bourget, pour sa part, avait déjà adressé une lettre circulaire à son clergé leur demandant d’enseigner la soumission aux lois et à la constitution. Elle déçoit les autres évêques qui souhaitent une intervention directe auprès des fidèles. C’est ainsi que dans une lettre adressée aux fidèles, en juin 1867, les évêques leur demandent d’accepter la Confédération et de voter pour les hommes qui l’ont rendue possible. Chez les conservateurs, la tentation est forte d’exploiter cet appui du clergé. On se sert ouvertement de la religion pour appuyer un parti. Cette intervention du clergé est justifiée par l’importance de l’enjeu au niveau national et religieux. Devant cette prise de position du clergé, quelle devait être celle des libéraux? Pour eux, il fallait changer la constitution et redonner aux provinces le réel pouvoir ne laissant au gouvernement central que des pouvoirs délégués par les gouvernements locaux portant sur des questions d’intérêt national. Plusieurs journaux réclament pour tous les citoyens le droit d’élire le candidat de leur choix.

Le rôle politique du clergé devint le thème principal de l’élection. La lutte se fait donc sur ce thème entre les conservateurs et les rouges. Cette habitude d’interventionnisme de l’Église s’installe dans nos moeurs jusqu’à la fin du régime de Duplessis.

Dans la vie quotidienne, seuls les curés avaient les moyens de vérifier dans sa paroisse si les directives de l’évêque étaient bien suivies. À ce sujet, ils reçoivent de leur évêque respectif des instructions claires. En effet, tous ceux qui votaient pour les libéraux ou les rouges commettaient un péché. L’électeur dissident n’avait d’autre choix que de s’abstenir de voter, s’il voulait continuer la pratique de sa religion.


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La constitution et le peuple


Le peuple n’est aucunement consulté sur le projet d’une nouvelle constitution. C’est uniquement l’affaire de la coalition gouvernementale. Cela correspond aux intérêts de la bourgeoisie d’affaires canadienne afin de favoriser le commerce dans l’ensemble des colonies et également à ceux de l’Église qui peut ainsi assurer son hégémonie sur la population québécoise. De peur de voir les antifédéralistes remporter les élections et que la constitution soit ainsi amendée, il y a un ralliement des forces conservatrices dont l’Église est partie prenante. Pour contrer les visées sociales des démocrates, l’Église met tout son poids au service de la cause.

La nouvelle constitution est proclamée dans l’indifférence générale. Seule l’élite est associée à l’Église par la célébration du Te Deum dans les cathédrales. Pour le reste, rien. La défaite du parti fédéraliste, en 1865, incite les hommes politiques à tenir le peuple éloigné du débat et d’agir en son nom. Pour les Pères de la Confédération et l’Église, la nouvelle constitution devait éviter les idées démocratiques américaines.


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Le rôle des curés


Dans les villages, c’est d’abord l’église avec son style monumental qui impressionne. De son côté, le presbytère-manoir frappe tout autant les visiteurs. Le village est le siège de la fabrique, de la commission scolaire et de la municipalité. L’érection canonique d’une paroisse est automatiquement suivie par une reconnaissance civile. Le curé est donc le personnage central de la paroisse avec une autorité morale incontestée. Il intervenait régulièrement dans la vie des familles surtout par l’écoute de la confession. C’est ainsi, que le parti conservateur possédait un allié précieux en 1867.

L’argent, l’alcool, les nominations politiques un peu de chantage et surtout l’interdiction des sacrements pouvaient forcer l’adhésion des électeurs. Les menaces du refus des sacrements peuvent expliquer, également, les nombreuses abstentions.

Les pressions religieuses se font par l’intermédiaire des curés. Pour atteindre ce but, les curés avaient deux moyens : la chaire et les confessions. En effet, de leurs tribunes, les curés durent lire le mandement des évêques à la veille des élections. Ce n'est qu'en dernier lieu qu'ils pouvaient recourir à la menace d’interdiction des sacrements et du refus de l’absolution. Selon les instructions données aux curés, ils devaient faire comprendre aux fidèles la nécessité d’envoyer à la Chambre des hommes décidés à accepter la nouvelle constitution. C’est au confesseur qu’il appartient de prendre les moyens appropriés pour faire comprendre l’obligation d’écouter les pasteurs. Ceux qui n’obéissent pas doivent s’engager à prendre la ferme résolution de ne plus recommencer, s’ils veulent être pardonnés. Comme les curés proclament la soumission à l’évêque, on imagine l’impact d’un tel mandement. Il s’agit donc d’une lutte entre les rouges et le clergé. Les curés ont donc pour mission de favoriser la candidature des conservateurs. Pour les évêques, favoriser la Confédération et lutter contre les rouges par l’intermédiaire de la chaire et du secret du confessionnal devient un impératif du devoir de l’Église et de ses représentants.

Le clergé joue un rôle de médiateur entre le ministère public et les citoyens. Cette pratique devient le « bon patronage ». Souvent, les curés s’emparent des prérogatives des hommes politiques en faisant du patronage. Ainsi, ils font des lettres de recommandations à tel ou tel homme politique pour qu’un de leurs paroissiens soit engagé à une fonction du gouvernement. Quel homme politique peut refuser une demande d’un curé à qui il est redevable? Ces recommandations sont accordées par le curé de la paroisse, à la condition que son paroissien soit du bon bord. Les curés deviennent même quelquefois promoteurs de certains travaux publics. C'est ainsi que quelques dollars distribués aux pauvres par les curés pouvaient avoir un bon effet auprès des électeurs. Le curé détient un pouvoir temporel et politique.

Les rouges dénoncent cette coutume. Les conservateurs, pour leur part, n’eurent qu’à recueillir le fruit du travail fait par le clergé. Les conservateurs laissèrent le clergé jouer un rôle partisan.


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Manoeuvres électorales


Les élections donnaient lieu à de multiples manoeuvres pour empêcher les adversaires rouges de se présenter.


Dans un premier temps, on essayait de persuader le candidat à se désister moyennant compensations et quelquefois on pouvait aller jusqu'à enlever le candidat le jour de l’appel nominal. En fait, le candidat du parti au pouvoir essayait d’éviter les élections. La démocratie en était encore à sa plus simple expression. Ainsi, lorsque l’officier-rapporteur «soupçonnait» une paroisse de mouvements déloyaux, il pouvait «défranchiser» une paroisse c’est-à-dire la priver de son droit de vote. De cette façon, plusieurs paroisses furent privées du droit de vote parce qu'elles comptaient trop de sympathisants rouges. Les élections eurent lieu dans seulement 42 comtés sur 65. Ailleurs, on incite les électeurs avec l’appui du clergé à s’abstenir de voter plutôt que d’appuyer les rouges. Il fallait beaucoup d’argent pour réussir de telles élections. En effet, souvent le whisky coule à flot. De plus, les riches créanciers de l’époque parcouraient les campagnes avec un huissier menaçant de représailles leurs débiteurs.


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Le clergé et sa victoire


L’élection de 1867 assure à l’Église une victoire décisive et lui remet pour au-delà d’un siècle le pouvoir temporel. Son influence devient si importante, qu’aucun parti politique ne pourra agir sans elle. Ainsi, pour le parti conservateur, tout se confond : religion, morale, constitution. En fait, Église et conservateurs ne font qu’un. Tous les deux sont unis pour combattre les rouges et leur anticléricalisme. Pour les libéraux, la Confédération est inexistante. C’est plutôt une union législative dans laquelle le gouvernement central a pris le contrôle de l’assemblée législative du Québec par son droit de désavouer toute loi provinciale.


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L’abstentionnisme


Aux élections de 1867, il y a 47 députés conservateurs d’élus et seulement 17 libéraux. En réalité, les libéraux obtiennent 45 % des votes. Comment expliquer une telle différence dans les résultats si ce n’est que par l’abstentionnisme? Les curés menacent de refuser l'absolution à ceux qui voteraient libéral. L’omission de plusieurs électeurs a donc favorisé les conservateurs dans plusieurs comtés.

L’élection de 1867, prouve sans conteste que l’Église a mis tout son poids dans la balance. Le suffrage censitaire (propriétaires) permettait au clergé d’influencer facilement le vote, puisque le nombre d’électeurs est réduit. Cette influence indue du clergé amena l’annulation des élections dans deux comtés, celui de Charlevoix en 1876 et celui de Berthier en 1878. Malheureusement, cette influence se continua pendant près d’un siècle, mais d'une façon plus subtile.

C’est là, sans conteste, un fait majeur qui marqua le rôle de l’Église durant la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’en 1960 avec l’arrivée de la Révolution tranquille.


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