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L'aube de la civilisation urbaine : 1930-1950
L'état d'urgence
Lutte à la misère
Retour à la terre
La guerre des idées
Une action catholique mal engagée
Le syndicalisme en tutelle
Les voies de l'avenire et la relève
La restauration de l'ordre sociale
L'État cléricale
La deuxième Guerre mondiale et ses conséquences
L'Épiscopat sur le qui-vive
L'avortement libéral
L'agonie du projet national
Une querelle de frontière
La sainte alliance
La subdivision des paroisses
La refonte des cartes des diocèses
Renouveau pastoral
De nouveaux champs d'apostolat et l'Action catholique
L'enjeu d'une bataille de moines
Une Église de plus en plus engagée dans la cité



1946-1948 : Église Notre-Dame-de-Fatima, Lac Mégantic, diocèse de Sherbrooke

L’aube d’une civilisation urbaine : 1930-1950


u début des années 1930, l’Église du Québec compte 2,5 millions de fidèles, soit 85 % de la population. Elle est structurée en trois provinces ecclésiastiques : Québec, Montréal et Ottawa et compte treize diocèses. L’Église a récupéré presque tous les mouvements canadiens-français tant nationalistes, agricoles que syndicaux. Elle semble aussi impuissante à rejoindre l’homme moderne. Le catholicisme traditionnel s’effrite de l’intérieur. Cette période marque également la fin du mythe du messianisme. En Nouvelle-Angleterre, l’Église a investi des ressources considérables de quatre cents prêtres et plus de deux mille frères et soeurs. On reconnaît que l’assimilation commence à faire son oeuvre.

En 1929, au moment où sévit une grave crise économique, l’épiscopat québécois sent le besoin de resserrer les rangs. Jusque, là chaque diocèse réglait ses problèmes à l’interne. Bientôt, il faut penser à une unité d’action plus clairement établie. C’est l’Assemblée des évêques qui prend la relève. Certains se posent toujours en propagandiste de la ruralité. En 1932, Mgr Rodrigue Villeneuve devient évêque de Québec. Il est un bon orateur et d'une grande envergure intellectuelle. Ses qualités personnelles et le poste qu’il détient le poussent tout naturellement à devenir le chef de l’Église québécoise. Nommé bientôt cardinal, il imprimera une cohésion à l’Assemblée des évêques du Québec.


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L’état d’urgence


Le 24 octobre 1929, le marché de la bourse de New York s’écroule et c’est le début de la plus grande crise économique du XXe siècle. La crise se prolonge. Pendant que les fonctionnaires continuent à vivre relativement bien, les nombreux chômeurs sont dans la misère. Pour les cultivateurs, c’est le retour à l’autarcie (autosuffisance). L’Église se voit contrainte à réduire ses activités. Les fabriques se débattent avec de graves difficultés financières. Faute d’argent, on interrompt la construction de l’Université de Montréal qui ne sera terminée qu’en 1943. Les hommes politiques en viennent à reconnaître la nécessité de l’intervention de l’état dans l’économie.


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Lutte à la misère


De toute urgence, l’Église et l’État se doivent d’intervenir. Le gouvernement met sur pied une commission d’enquête présidée par Édouard Montpetit. En 1931, pour faire suite au rapport de cette commission, le gouvernement présente un projet de loi sur la mainmise progressive de l’État sur le réseau d’assistance publique. Il propose la création d’une corporation qui aurait pour mission d’administrer la Loi de l’assistance publique. L’épiscopat comme on peut s’en douter s’oppose à ce projet de loi. Le veto de l’épiscopat y met fin définitivement.

La compétence de l’Église et de l’État en matière de bien-être est une question à long terme, l'une agit au nom de la charité et l’autre au nom de la justice distributive. La Saint-Vincent-de-Paul est en voie d’être réduite à une agence gouvernementale avec son pouvoir d’enquête sur la vie privée des gens, ce qui l’éloigne de sa mission première. Les municipalités doivent également mettre sur pied leur propre service de secours aux chômeurs. Devant l’anarchie dans le développement de ses différentes oeuvres, l’Église établit en 1933 la Fédération des oeuvres de charité canadiennes-françaises. Son rôle est d’organiser annuellement une souscription publique. La crise, cependant, révèle la grande pauvreté dans la cité moderne. L’Église a beau multiplier ses oeuvres, elle est dépassée et accepte d’avoir recours aux programmes d’assistance financés par l’État


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Retour à la terre


L’Église décide de réaliser un autre projet de sociétés avec la mise en valeur de terres neuves. On veut installer des fermes dans la région des Appalaches et en Abitibi. Au Témiscouata, on ouvre des paroisses aux flancs des montagnes. Le mouvement reçoit l’appui du gouvernement Taschereau qui y injecte quelques millions.

L’épiscopat se joint au mouvement et remet sur pied ses sociétés de colonisation comme au XIXe siècle. En mars 1933, la Société Saint-Jean-Baptiste propose le retour à la terre comme remède à la crise. Soumis à des pressions multiples, le premier ministre annonce un projet de colonisation qui sera doté d’un budget de 10 000 000 $.

Ce mouvement de retour à la terre connaît deux moments forts : le mouvement de Bagotville, qui met en branle plus de 6000 familles et le mouvement de 1935 engendré par l’Église et les promesses de Taschereau. La participation gouvernementale est faible, parce que le gouvernement ne croit pas que le retour à la terre soit une solution à la crise économique.

Il n'y participe que pour des raisons électorales. Ce mouvement est organisé par une élite qui projette des idéaux agriculturistes sans être basé sur un mouvement populaire durable.


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La guerre des idées


La crise économique va créer un terreau propice aux mouvements d’idées nouvelles et à un raidissement des forces de l’ordre. Le Parti communiste va incarner la première tendance. Fondé à Toronto, en 1921, et après sa mise hors la loi en 1931, il change son nom pour celui de Canadien Labour Defense League. Au Québec, ses effectifs sont modestes, soit 1200 membres actifs et 10 000 membres affiliés concentrés dans la région de Montréal. Ils sont passés maîtres dans l’art de noyauter la jeunesse et de former des élites.

La réaction s’organise et l’Église se prépare à livrer une guerre totale à ce mouvement, qui à ses yeux, incarne le mal. Le communisme est une anti-Église. Il veut détruire la tradition, la famille, le droit à la propriété et l’existence même de l’Église. Il faut d’abord empêcher l’infiltration qui s’effectue par l’immigration. On veut que l’État surveille de très près les nouveaux immigrants. Ainsi, à Montréal, on s’efforce de donner des services religieux dans leur langue et des prêtres de leur ethnie aux nouveaux immigrants. L’Église confie à un prêtre engagé, Joseph Archamblault, la mission d’organiser un plan de contre-attaque avec la formation de l’École sociale populaire. C’est un service de propagande anticommuniste qui devra utiliser toutes les ressources disponibles de la publicité. Mgr Gauthier sonne l’alarme en janvier 1931 et associe au combat une dizaine d’oeuvres catholiques dont les ligues du Sacré-Coeur. Les autorités de l’État sont appelées à des actions énergiques pour combattre le fléau communiste. En 1933, l’épiscopat canadien condamne le communisme

Sur le plan international, ce sont les jésuites qui sont mandatés par Rome pour organiser le combat. C’est une véritable croisade qui s’organise dans chaque province ecclésiastique des jésuites où un des leurs est spécifiquement mandaté pour organiser la lutte contre le Mal. Malgré tout, le communisme connaît un certain succès chez les Juifs et les Slaves. On insiste auprès du premier ministre du Québec pour que le Parti communiste soit mis hors la loi.

Cependant, avec la venue du gouvernement de Duplessis, la lutte se porte au plan politique. En effet, ce dernier fait voter la Loi du cadenas qui interdit la propagande et les lieux de réunion communiste. De plus en plus souvent, les autorités ecclésiastiques interviennent auprès du Bureau de censure et des masses médias.

L’Église sent que son emprise sur les masses urbaines est en chute libre. Elle craint le soulèvement du prolétariat. L’humilité, l’obéissance et la vertu ne sont plus des valeurs premières pour la population.


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Une action catholique mal engagée


L’Action catholique était un mouvement apostolique religieux, laïque, organisé sous la dépendance de la hiérarchie. Ce mouvement devait permettre à une Église trop cléricalisée à s’ouvrir sur le monde incarné par les laïcs. Il existait déjà les Ligues du Sacré-Coeur, ACJC, l’Action catholique des voyageurs, etc. Il y a le problème des deux groupes linguistiques qui se profilent lorsque l’on parle d’action catholique au niveau canadien. C’est Mgr Villeneuve qui donne le coup d’envoi dans son diocèse en procédant à la remise sur pied de l’Action catholique. Celle-ci est regroupée en paroisses, districts et un comité central. L’archevêque s’en proclame d’ailleurs le chef absolu. L’organisation est conçue pour maintenir l’emprise du clergé. Ainsi, le comité paroissial a pour fonction de rapporter au curé les choses qu’il devrait savoir et exécuter ses instructions. Tous les diocèses en viennent à partager la même structure. L’Église catholique met du temps à découvrir la vraie notion d’action catholique. En 1938, les évêques conviennent que les laïcs exécutent ce que les évêques décident et organisent.


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Le syndicalisme en tutelle


L’Église appuie de tout son poids le syndicalisme catholique enjoignant les entrepreneurs de signer des conventions collectives. Aux fabriques et aux communautés, elle demande de ne donner leur clientèle qu’aux entrepreneurs respectueux du syndicalisme catholique. Chaque diocèse verse des montants d’argent pour soutenir l’action syndicale. En retour, l’Église garde le mouvement sous sa tutelle ce qui est à l’origine d’une crise qui ébranle les unions catholiques en 1933. La même année, le Conseil central de Québec vit une grave crise financière. Le Cardinal Villeneuve reproche aux syndicats leur manque de soumission aux évêques. Il prive même les syndicats récalcitrants de leurs aumôniers, ce qui leur enlève leur statut de syndicats catholiques. Grâce à l’appui de l’Église le nombre de membres augmente rapidement. De 15 587 en 1930, ils sont 46 340 en 1940. Les gains du mouvement syndical durant les années 1930 ne peuvent faire oublier que des institutions catholiques tirent profit du chômage pour verser des salaires de famine.

Dans son ensemble, l’Église québécoise réprouve les grèves et maintient une attitude très conciliante envers le patronat.


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Les voies de l’avenir et la relève


Sous la gouverne du cardinal Villeneuve, l’Église du Québec renforce son système d’autorité. Toutefois, nombre de Québécois ressentent l’urgence de se défaire de leur impuissance collective. La culture traditionnelle a fait son temps et des changements majeurs pointent à l’horizon. Les dominicains, avec le père Georges-Henri Lévesque vont jouer un rôle clé dans la formation d’une future élite intellectuelle en créant, en 1938, l’École de Sciences morales et politiques.


En 1932, les Jeunesses Canada publient un manifeste dans lequel ils dénoncent la trahison des élites et les dirigeants politiques responsables du « marasme collectif ». L'époque est aux mouvements de jeunesse. L’Église n’est pas en reste et c’est à l’oblat, Henri Roy, que revient la responsabilité de fonder la JOC(Jeunesse ouvrière catholique) avec la bénédiction de l’évêque de Montréal. Le mouvement jociste est rapidement implanté à Québec.

La JOC québécoise véhicule à travers ses publications l’idéologie de la grande révolution de l’amour pour la classe ouvrière. Le mouvement jociste gagne rapidement le milieu des étudiants. Dans ce milieu, le mouvement prend difficilement action dans le réel et le concret. Le mouvement s’enfonce dans la critique et l’esprit de la clique. En janvier 1933, l’épiscopat souhaite que l’ACJC (Action catholique de la jeunesse canadienne) vienne à coiffer toutes les oeuvres de jeunesse. Bientôt, une crise sérieuse éclate. Les jésuites contrôlent l’ACJC, les oblats la JOC, les pères Sainte-Croix la JEC (Jeunesse étudiante catholique) et les clercs Saint-Viateur la JAC (Jeunesse agricole catholique). Deux tendances se manifestent : celle dirigée par le chanoine Groulx, qui associe formation religieuse et nationale, pendant que l’autre tendance, celle-là dirigée par le père Lévesque, dominicain, favorise une distinction entre les mouvements patriotiques et ceux d’action sociale. Finalement, les évêques du Québec décident d’associer la formation sociale à la formation nationale. Ainsi, sous la poussée des mouvements de jeunesse, l’Église prend une orientation nouvelle. Les nouvelles structures spécialisées débordent la paroisse et coïncident plutôt avec différents milieux de vie.

La JOC est à l’origine d’un mouvement biblique avec une édition des Évangiles sous le titre « faites ça, et vous vivrez » publiée à 675 000 exemplaires.


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La restauration de l’ordre social


La crise déclenche au sein des élites l’espoir d’un ordre nouveau. C’est ainsi que le parti C.C.F. publie un manifeste avec une solution de rechange au projet communiste. Ce programme préconise la lutte des classes et dans certains cas la révolution. Il est déclaré inconciliable avec la doctrine sociale de l’Église.

On préconise davantage un programme lié à deux organismes : l’État et le syndicalisme. Le premier a pour fonction de réglementer la vie économique et de redistribuer la richesse, le second de refaire l’unité sociale en réconciliant les intérêts opposés. De grands débats pointent à l’horizon : la place des clercs dans la société et la récupération par l’État de certains domaines (éducation, assistance sociale) contrôlés par l’Église.

Cependant, on doit d’urgence se serrer les coudes pour lutter contre le projet C.C.F. et la lutte des classes. Certains laïcs, dont Albert Rioux, président de l’U.C.C. Esdras Mainville économiste et d’autres proposent un programme en quatre points : la restauration rurale, la question ouvrière, les trusts et les finances et la réforme politique.

Les nationalistes veulent reconstruire la société par sa base : l’agriculture, l’artisanat, la petite et moyenne entreprise et la prise de contrôle du pouvoir d’achat par l’action coopérative. En 1934, l’épiscopat du Québec condamne le programme du parti C.C.F.


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L’État clérical


L’Église catholique encadre les élites et dirige le peuple. L’industrialisation attire les ruraux vers les villes et mine les assises de l’Église. Le peuple fait à sa tête en politique tout en endossant l’autorité de l’Église sur le reste de l’existence. Les citadins se forgent, peu à peu, une nouvelle image de la société où cette dernière n’est plus nécessairement prédominante. De son côté, le pouvoir étatique gruge la place de l’Église dans la société : interventions en matière d’assistance publique et d’enseignement technique et une législation plus permissive en moralité publique. Le coup d’envoi de ce chambardement est donné par Paul Gouin. Dégoûté par la corruption du gouvernement Taschereau, il fonde, en 1934, l’Action libérale nationale. Plusieurs nationalistes se joignent à son parti. Il prône certaines nationalisations comme l’électricité, ce qui inquiète grandement la haute finance.

Pour l’instant, on veut renverser le gouvernement Taschereau. Afin de s’assurer la victoire aux prochaines élections, on propose une alliance au parti conservateur. Depuis longtemps, ce parti n’existe que pour former la loyale opposition de sa Majesté. En 1933, Maurice Duplessis devient chef du parti. Il est de tendance conservatrice avec un vieux fond ultramontain. Il apporte une clientèle conservatrice et surtout un talent de politicien qui sort de l’ordinaire. Gouin représente le renouveau avec l’appui de l’Église, des associations catholiques et une bonne part de la population urbaine. Le 17 août 1936, la coalition remporte la victoire. Mais très tôt, Gouin, malmené par Duplessis, démissionne. Les purs de l’Action nationale se sentant bernés quittent l’Union nationale, laissant toute la place à Maurice Duplessis qui doit consolider ses bases. Il mise sur les ruraux et une de ses premières lois est celle sur le crédit agricole. Il veut ramener la politique vers le quotidien comme les petits contrats de la voirie. Il se tourne également vers la nouvelle avant-garde scientifique comme celle du frère Marie-Victorin qui pourra bénéficier de fonds pour son jardin botanique. De son côté, le docteur Armand Frappier décroche un octroi de 1 300 000 $ pour fonder l’Institut microbiologique. Il développe en plus une politique d’autonomie provinciale face à Ottawa, récupérant de cette manière les nationalistes. Il se rallie à l’Église gardienne de l’autorité et fait voter les lois d’assistance aux aveugles et aux mères nécessiteuses en excluant les filles-mères, les séparées et les divorcées. De plus, il lutte contre le communisme avec la Loi du cadenas. À plusieurs reprises, il donne à l’Église des garanties sur sa place prépondérante dans la société québécoise.

Sa sincérité peut-être difficilement mise en doute, étant lui-même un catholique convaincu. Cependant, il n’est pas soumis à l’Église de qui il n’acceptera jamais une directive ou une orientation. L’Église admire en Duplessis, l’homme d'État qui s’est s’imposé comme chef. Duplessis laisse le capital étranger aménager le territoire national. Il propose un leardership de droit divin. L’alliance des deux pouvoirs place l’Église dans une position délicate. L’Église verse dans la complaisance et souvent se ferme les yeux pour ne pas perdre ses acquis historiques.


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La deuxième Guerre mondiale et ses conséquences


Après la crise économique de 1930, la guerre apporte des changements profonds dans la société québécoise. Elle remet en cause les us et coutumes, la morale et les institutions. Les changements sont rapides et profonds. La guerre mobilise la main-d’oeuvre pour l’effort de guerre et facilite ainsi l’émancipation des individus. Elle est le catalyseur d’une crise d’identité. Les Canadiens français sont d’accord pour participer à l’effort de guerre, mais s’opposent à l’enrôlement obligatoire.

Une nouvelle crise de la conscription se profile à l’horizon. Le gouvernement fédéral se sent coincé par la promesse faite aux Canadiens français qu’il n’y aurait pas d’enrôlement obligatoire. Il organise un référendum pour demander au peuple de le délier de sa promesse. Les résultats témoignent des deux solitudes : les anglophones votent à plus de 80 % en faveur de la conscription et les francophones contre dans une même proportion.


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L’Épiscopat sur le qui-vive


L’Épiscopat fait face à un dilemme : quelle position prendre face à la guerre en connaissant les sentiments des Canadiens français à cet égard? Les évêques sont divisés sur la position à prendre. Peu importe l’attitude qu’elle prendra, l’Église devra en payer le prix tellement les points de vue sont irréconciliables. La guerre est porteuse de rupture soit avec la masse populaire ou les autorités gouvernementales. Le cardinal Villeneuve déclare sa loyauté envers le roi Georges VI et demande au clergé de se soumettre aux autorités civiles en facilitant l’enregistrement. Certains évêques refusent de faire lire dans les églises des communiqués favorables aux « bons de la Victoire ». L’épiscopat autorise, après bien des hésitations, une journée de prière pour la victoire. Cependant, grâce au cardinal Villeneuve et le ministre Lapointe, cette journée de prières tourne en journée de propagande pour l'effort de guerre.

Devant la publication d’une lettre collective des évêques sur le référendum de la conscription, l’épiscopat est encore déchiré. L’évêque de Gaspé, Mgr Ross, et celui de Sherbrooke, Mgr Desranleau, prennent leur distance en refusant de signer une lettre qui va indigner 95 % de la population. En fin de compte, un document paraît où l’on dénonce la barbarie et l’irréligion des nazis. La position du cardinal choque les citoyens les plus calmes et respectueux et laisse présager une grave crise d’autorité.

L’arrivée du délégué apostolique, Mgr Antoniotti, qui incarne la politique centralisatrice de Rome, va diminuer l’influence du cardinal Villeneuve. Pour Rome, les évêques ne sont que les agents exécutifs soumis au Vatican. Il veut mettre fin à la solidarité des évêques du Québec. Il favorise la nomination de Mgr Charbonneau à Montréal. Ce dernier n’aime pas l’idéal chrétien traditionnel de Mgr Courchesne, évêque de Rimouski, mais par contre il refuse d’être l’instrument du délégué apostolique. Il veut s’occuper avant tout d’évangélisation. Il ne s’entend pas avec l’ensemble des évêques sur la confessionnalité des oeuvres et la place des clercs et des laïcs dans l’Église. Mgr Desranleau se prononce ouvertement en faveur des ouvriers et contre le capitalisme qui, selon lui, doit être remplacé. Ceci inquiète grandement le cardinal et Mgr Antoniotti.

L’urbanisation se poursuit et le type de chrétienté médiévale que le Québec avait connu jusque-là s’effondre devant l’industrialisation.


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L’avortement du projet libéral


Montréal avec ses quartiers ouvriers et huppés et ses intellectuels préfigure le Québec de demain. Déjà, en 1940, les aumôniers des ligues du Sacré-Coeur dénoncent le début d’un anticléricalisme ainsi que l’indifférence religieuse dans le peuple et l’élite. Les hommes politiques ont de plus en plus d’emprise sur le peuple. Le premier ministre Adélard Godbout prend ses distances face à l’Église.

On peut voir ce changement sur la question du vote des femmes. En 1940, le cardinal Villeneuve émet un avis négatif sur le suffrage féminin qui irait à l’encontre de l’unité et la hiérarchie familiale. Afin de convaincre le cardinal, Godbout, en fin stratège, l’informe de son intention de démissionner et de passer le pouvoir au radical Bouchard. Pour éviter un plus grand mal, le cardinal s’incline et met en sourdine son opposition au projet.

Sur la question de la fréquentation scolaire obligatoire, Godbout demande au cardinal de présider une sous-commission du Comité catholique qui recommande l’acceptation du principe de l’enseignement obligatoire. Il amorce une révolution qui va amener une nouvelle société en prônant l’émergence d’un État interventionniste et la réduction du rôle de l’Église.


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L’agonie du projet national


Duplessis, de nouveau au pouvoir, assume le projet national que l’Église a laissé tomber. La guerre relance l’urbanisation et met fin aux espoirs de l’Église et des élites traditionnelles. Malgré tout, on forme un autre projet de colonisation pour les démobilisés. Le mythe du développement des régions par la terre demeure, même si on y intègre les richesses naturelles. Les évêques appuient cette nouvelle initiative et ramassent de l’argent à cet effet, mais ce mouvement se bute à la résistance populaire de plus en plus attirée par la ville. La Société canadienne d’établissement rural manque de moyens et prêche dans le désert. Les missionnaires-colonisateurs constatent le désintéressement de la population. Le mythe agonise et sera définitivement enterré au début des années 1960.


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Une querelle de frontière


Deux philosophies continuent à s’affronter. La doctrine catholique assigne à l’État et à la charité publique l’assistance financière, l’Église assumant la coordination sur une base diocésaine. La philosophie libérale s’en remet à l’État qui dispose des leviers lui permettant d’assumer sa tâche. Les premières agences diocésaines s’occupent de la sauvegarde de l’enfance. Par ailleurs, les diocèses coordonnent les oeuvres sociales par un Conseil central des oeuvres. Ces conseils ont des mandats de l’État et ont droit à des subventions statutaires.

Des affrontements ont lieu entre l’État et l’Église. Ainsi, les évêques protestent, parce qu’ils voulaient que les chèques aux mères nécessiteuses soient faits au nom du père. La visée des évêques est de resserrer leur emprise sur l’instruction et tout ce qui concerne le bien-être. Le gouvernement, par le ministère de la Jeunesse et du Bien-être, ne contrôle que les mesures spéciales d’assistance.

Durant les années 1940, l’Église réussit à sauvegarder l’essentiel de ses droits dans l’assistance publique, mais l’État ne cesse de gruger sur ses pouvoirs.


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La sainte alliance


L’Église et l’État cherchent à faire front commun face aux idéologies nouvelles qui remettent en cause les autorités établies. C’est ainsi qu’on va lutter contre le parti C.C.F. qui jouit d’une vogue grandissante dans l’Ouest canadien. L’Église du Québec prétend que le programme de ce parti s’oppose à la survivance canadienne-française.

La secte des témoins de Jéhovah est également dans la mire de l’Église et du gouvernement Duplessis. Cette secte annonce la fin prochaine du monde. Les témoins de Jéhovah font une grande campagne publicitaire contre l’Église catholique qu’ils dénoncent fortement. Ils accusent Duplessis et l’Église de conspirer contre eux. La lutte contre les témoins de Jéhovah tourne en querelle politique.


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La subdivision des paroisses


La religion catholique demeure la religion dominante au Québec. En 1937, ses effectifs forment 85 % de la population et 88 % en 1961. Cette même année à peine 6351 Québécois se déclarent incroyants. La reprise de l’urbanisation a pour conséquence d’amener la dissolution du tissu paroissial à la grandeur du Québec. De plus en plus de fidèles échappent à l’influence de l’Église. La séduction du travail rémunéré rejette le mythe d’un Québec rural.

Ces changements affectent l’influence des curés dans les paroisses. Face à cette mutation tous azimuts, l’Église applique des solutions traditionnelles en divisant les anciennes paroisses et en ayant recours aux communautés religieuses. De 1940 à 1968, l’Église érige 491 paroisses


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La refonte des cartes des diocèses


Durant les années 1930, il n’y avait pas eu de nouveaux diocèses. Au Québec, le diocèse de Gaspé croule sous les dettes et son évêque, Mgr Ross, doit abandonner son évêché pour se mettre en pension dans une communauté religieuse pendant que son séminaire est surendetté. Néanmoins, on va créer les diocèses de Saint-Jean sur la Rive-Sud de Montréal et celui d’Amos en Abitibi. Sherbrooke sera érigé en archidiocèse en 1951 avec les diocèses de Nicolet et de Saint-Hyacinthe comme suffragants. Deux autres diocèses sont ainsi créés la même année, Sainte-Anne-de-la-Pocatière et Saint-Jérôme. À partir des années 1950, les évêques du Québec veulent faire coïncider les frontières des diocèses avec celles des provinces civiles. Il faudra attendre 1963 pour la création du diocèse de Hull, les évêques d’Ottawa refusant de perdre leur territoire québécois.


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Renouveau pastoral


Malgré les temps nouveaux, la pastorale est peu modifiée. La piété populaire s’alimente aux retraites, aux sermons du dimanche et des dévotions traditionnelles comme les chemins de croix, le culte des saints, la procession des Rogations. Devant le manque de cohésion pour la musique d'Église, l’épiscopat du Québec publie en 1952 le code de la musique sacrée. Le code impose la « bonne musique », les morceaux déjà connus et chantés aisément par le peuple. Un nouveau catéchisme est publié en 1951

D’autre part, les cercles Lacordaire et Sainte-Jeanne-D’Arc remplacent les anciennes sociétés de tempérance. C’est un mouvement d’abstinence totale. C’est un oblat, le père Ubald Villeneuve, qui lance l’organisation de ce mouvement au Québec. Ils sont 11 500 membres en 1941 et 138 095 membres en 1955. La montée des cercles Lacordaire et Sainte-Jeanne-D’Arc tient à plusieurs facteurs dont en particulier les qualités d’animateur de son fondateur.

Les prédicateurs de retraite présentent la boisson comme un mal absolu ce qui incite plusieurs fidèles à joindre le mouvement. De plus, le mouvement a recourt à toutes les ressources de publicité comme la presse, la radio et même la télévision.


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De nouveaux champs d’apostolat et l'Action catholique


L’organisation du loisir des enfants dans les villes préoccupe également l’Église. Cette dernière estime que les terrains de jeux relèvent de son ressort. Elle lance l’Oeuvre des terrains de jeux. C’est une oeuvre catholique dirigée par un aumônier et des laïcs. La ville fournit les infrastructures et l’O.T.J. l’administre et l’anime. Graduellement, l’État et les municipalités assument leurs responsabilités.


Selon Mgr Desranleau, évêque de Rimouski, c’est aux évêques de spécifier les types d’action que l’on doit favoriser dans chaque diocèse, pendant que Mgr Charbonneau, évêque de Montréal, met l’accent sur une forme d’apostolat privilégiant l’Action catholique spécialisée. Une grande rivalité règne entre les mouvements et les communautés religieuses qui les animent. En 1940, les évêques font une refonte et donnent la priorité aux comités diocésains de l’Action catholique. À la fin des années 1940, un Comité national de l’Action catholique canadienne coiffe les associations existantes.

Durant ces années de réformes et de contre-réformes, deux évêques incarnent les contradictions qui secouent l’Église québécoise : Mgr Charbonneau et Mgr Courchesne. Ce dernier, évêque d’un diocèse avant tout rural, défend les valeurs de la société traditionnelle. Il abolit l’Action catholique spécialisée et revient à l’ancienne formule l’Action catholique générale plus facile à contrôler. Pour Mgr Courchesne, c’est la paroisse qui est le milieu de vie. L’Action catholique est alors aux services de l’évêque et des curés. Ceci va à l’encontre des idées défendues par Mgr Charbonneau, qui lui propose une Action catholique spécialisée où les laïcs peuvent avoir leur place.


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L’enjeu d’une bataille de moines


L’Église demande à ses fidèles de manifester leur foi quand cela est nécessaire, d’où la nécessité de la confessionnalité. Elle interdit ainsi à ses fidèles d’adhérer à des associations neutres. La confessionnalité ne s’adresse pas qu’aux individus, mais également aux personnes morales. Les personnes morales catholiques devraient recruter leurs membres parmi les catholiques seulement.

Ce principe pose un problème pour la C.T.C.C., qui tout en appuyant la doctrine de l’Église, ne veut pas refuser les protestants travaillant dans une même industrie. En pratique, tout au moins à Montréal, on accepte les membres d’une autre religion dans la mesure que ces derniers adhèrent à la constitution de la C.T.C.C., mais en région, on exclut les membres non catholiques. Le gouvernement exige que pour représenter tous les ouvriers d’une compagnie, les syndicats catholiques enlèvent le mot catholique. Dès 1944, la Loi des relations de travail oblige tous les syndicats à recruter leurs membres sans distinction de religion.

Les coopératives généralement confessionnelles vivent le même problème. Le père Georges Henri Lévesque, dominicain, défend le principe de la non-confessionnalité étant donné la présence de protestants. La confessionnalité nuit de plus au développement économique des coopératives. Plusieurs évêques, dont Mgr Courchesne de même que le cardinal Villeneuve, défendent pour leur part le principe de la confessionnalité. Une nouvelle règle s’établit et les évêques doivent tenir compte de nouveaux chefs de file ecclésiastiques, ce qui permet des changements importants dans la société québécoise.


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Une Église de plus en plus engagée dans la cité


La C.T.C.C. devient le fer de lance d’un mouvement de restauration sociale. Cette dernière va organiser la résistance à la politique antisyndicale de Duplessis. Celui-ci tente de soustraire au syndicalisme la fonction publique. Les syndiqués vont trouver dans l’Église une alliée indispensable. C’est dans ce contexte que débute la grève de l’amiante d’Asbestos. Les ouvriers demandent des hausses de salaire, l’application de la formule Rand, un fond d’assurances sociales pour les protéger en cas d’accident et de maladie et des mesures pour les protéger contre les effets nocifs des poussières d’amiante. Les compagnies craignent pour leur droit de gérance à cause de certaines demandes des chefs syndicaux. Forte de l’indifférence générale, la Johns-Mainville entreprend de casser le syndicat. Maurice Duplessis annonce qu’il n’interviendra pas aussi longtemps que les ouvriers n’auront pas repris le travail. La grève perdure et les aumôniers demandent l’aide des syndicats. L’épiscopat propose à ses fidèles d’acheminer de l’aide aux grévistes.

C’est la médiation de l’archevêque de Québec qui va permettre un retour au travail. Devant la crainte qu’un échec des syndicats catholiques pousse les grévistes de l’amiante vers les syndicats internationaux, l’Église est forcée d’intervenir.

Elle veut, que tout au moins avec une petite augmentation de salaire, les grévistes puissent sauver la face. Asbestos connaît un réveil des travailleurs qui se sentent exploités par le capitalisme américain.

Cependant, il est clair que la position de l’Église rejoint pour l’essentiel celle de l’État, à savoir le maintien de l’ordre. Ici, l’Église a dû intervenir au nom de la charité en opposition à l’État qui réagit toujours au nom de la légalité. L’Église se rend compte officiellement que la ruralité, même si elle encore très présente, a été remplacée par l’urbanité.



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