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Au temps de la Nouvelle-France



Comme il se doit, les débuts de la Nouvelle-France se font dans une dépendance  de la mère patrie. La France n’investira que très parcimonieusement dans sa colonie si l’on compare avec l’Angleterre. Colbert voit dans la colonie une pourvoyeuse de richesses naturelles dans lesquelles on doit investir le moins possible. La colonisation et la traite des fourrures sont incompatibles. Mais qu’à cela ne tienne, la France fait de multiples tentatives pour faire un minimum de colonisation afin d’occuper le territoire tout en mettant l’accent sur le commerce des fourrures.


C’est Champlain qui devient le véritable fondateur du Canada. Pour lui, les buts de la Nouvelle-France sont d’abord le commerce des fourrures, puis l’exploration du territoire et l’évangélisation. Champlain explore le territoire dans plusieurs directions se rendant jusqu’au lac Huron et la Baie Georgienne en 1615. La même année, il amène les récollets à Québec. Quelques décennies plus tard, ce furent les jésuites qui viennent s’installer à Québec. La présence de l’Église devient indispensable. Les missionnaires sont souvent associés aux explorations du territoire et déjà les services sociaux que l’Église assume lui valent un prestige qui demeurera intact pendant quatre siècles.


Cependant, la colonie continue à croître au jour le jour sans aucun plan de développement logique. C’est l’Église plutôt que la monarchie et les compagnies qui donnent à la Nouvelle-France sa structure de base. Les jésuites, en plus de participer aux expéditions, donnent les rudiments de l’éducation en ouvrant, dès 1635, une école à Québec qui devient plus tard un collège classique. Ils font également venir de France les ursulines pour l’éducation des jeunes filles. De même, ils sont à l’origine de la venue des hospitalières qui prennent en main l’hôpital de Québec. En 1663, il y a déjà à Québec 150 membres de communautés religieuses sur une population totale de 500 personnes. Il ne faut pas oublier la fondation de Montréal qui se fait dans un climat religieux avec Maisonneuve comme gouverneur et de Jeanne Mance qui y fonde un hôpital. En 1657, Marguerite Bourgeois ouvre la première école. Ce sont là les fondements de la Nouvelle-France. En 1663, dans un moment critique pour l’expansion de sa colonie, la France de Louis XIV, avec Colbert comme ministre responsable, intervient pour la première fois massivement dans son développement.


En effet, cette année-là, un gouvernement royal est instauré et la Compagnie des Indes occidentales, société d’État, assume le monopole du commerce des fourrures. L’été de 1663 voit l’arrivée du gouverneur Courcelles et de l’intendant Talon avec des bateaux remplis de colons et de provisions. Des forts sont construits sur le Richelieu pour barrer la route aux Iroquois. Un conseil supérieur est formé pour administrer le pays. Il est composé du gouverneur, de l’intendant, de l’évêque et de douze conseillers. Ce conseil est à la fois administratif, législatif et judiciaire. Les querelles des trois chefs de la colonie sont nombreuses mettant même quelquefois son avenir en péril.


Jean Talon est l’instrument de la refonte de la Nouvelle-France. Dans l’espace de dix ans, plus de 2000 colons sont envoyés dans la colonie. Les mariages précoces et les familles nombreuses sont récompensés par l’État. Ainsi, des bateaux entiers de pupilles du roi (souvent des filles de familles pauvres ou orphelines), nommées les Filles du roi, arrivent dans la colonie pour fournir des épouses aux vétérans du régiment de Carignan-Sallière et aux colons restés célibataires. Les familles nombreuses constituent un actif pour la colonie.

Talon veut changer la manière de vivre des habitants de la Nouvelle-France. Sur l’ordre de Colbert, l’accent est mis sur l’agriculture en remplacement de la chasse et du commerce des fourrures. À cause de la nécessité de se défendre contre les Amérindiens, les terres sont distribuées en parcelles longues et étroites perpendiculairement à la rivière qui est la seule voie de communication. De cette façon, les maisons sont bâties les unes près des autres. Colbert croit en la diversité et à une certaine indépendance économique. C’est ainsi que sont développés l’industrie navale, le bois de construction, la tannerie, la salaison... Il établit même une brasserie. Talon est fasciné par les possibilités de la colonie. Il est un innovateur, mais ses querelles avec Mgr Laval suscitent son rappel en 1672. En 1689, il y a 200 000 Anglo-américains qui font face à 10 000 Canadiens français.


Par manque de ressources et de volonté royale, la colonie va végéter, fixant ainsi son sort. Malgré tout, les explorations continuent avec La Salle et beaucoup d’autres. Pour leur part, les coureurs de bois continuent à sillonner une grande partie de l’Amérique du Nord.

Durant toute cette période de développement territorial, le centre de la colonie, où vit la majorité du peuple canadien entre Québec et Montréal, est marqué d’une vie intellectuelle et sociale qui vont définir l’originalité de cette société.


En 1663, le baron de Lahontan décrit la Nouvelle-France comme une société théocratique où l’autorité des ecclésiastiques est omniprésente : « Ils veillent plus soigneusement à la conduite des filles et des femmes que les pères et les maris ». Il résume ainsi sa pensée sur les Canadiens : « Les Canadiens sont bien faits, robustes, entreprenants, braves... ils ne leur manquent que la connaissance des lettres. Ils sont présomptueux et remplis d’eux-mêmes, s’estimant au dessus de toutes les nations..»


À la fin du dix-septième siècle, on compte déjà 24 écoles, dont 15 à Québec, Montréal et Trois-Rivières, où est concentrée la majorité de la population. En 1668, Mgr Laval fonde le petit séminaire de Québec. De plus, les jésuites offrent un cours complet de collège classique et cours spécialisés de mathématiques, de navigation, d’arpentage et de génie. L’évêque prend également soin d’inaugurer l’école Saint-Joachim pour former des artisans pour la construction des églises et autres lieux publics. L’architecture du Québec est caractérisée par un style populaire à la portée des maîtres-artisans.


De 1713 à 1744, la Nouvelle-France profite de trente années de paix où la colonie développe encore davantage son originalité. En 1713, la population n’est que 18 000 habitants malgré tous les efforts qui ont été faits pour l’augmenter. À ce moment, la France s’intéresse beaucoup moins au Canada à cause des guerres européennes. Seulement quelques milliers d’immigrants viennent durant cette période. Certains d’entre eux sont des braconniers, contrebandiers, faussaires, fils de bonne famille tombés en disgrâce. Ils apportent avec eux une certaine joie de vivre en même temps qu’un esprit de délinquance et de liberté dont les coureurs de bois sont un parfait exemple. L’extraordinaire accroissement de la population (55 000 habitants en 1754) doit être attribué presque complètement à la prodigieuse vitalité du peuple canadien-français.


Durant la Paix de trente ans, on essaie d’instaurer une économie plus stable en encourageant autant que possible l’agriculture. La colonie doit toujours être au service de la métropole, car comme le roi le recommande : « d’avoir en vue que la colonie du Canada n’est bonne que autant qu’elle peut estre utile au Royaume ». Tout concourt à empêcher la Nouvelle-France d’avoir une industrie vigoureuse.

Vers 1730, le premier réseau de routes est construit, ce qui va favoriser le développement de la colonie. Durant cette période, l’agriculture se développe malgré tout et la culture du blé, selon l’intention de l’intendant Dupuy, remplace graduellement l’industrie de la fourrure.


Le peuple ne participe pas au gouvernement. Son rôle comme en France est simplement de recevoir des ordres. Le capitaine de milice dans chaque paroisse est surtout un agent du gouvernement. Cela explique, sans aucun doute, le manque de sens civique chez la population. Tout cela fait apparaître chez la population un amour croissant pour l’indépendance d’esprit et une tradition individualiste. Vaudreuil, en 1736, constate un esprit d’indépendance et de mutinerie chez les habitants des campagnes. Les Canadiens ont donc une réputation d’indocilité, d’indépendance d’esprit et prompts à la révolte et à la contestation.


Au contraire de la France, la société de la Nouvelle-France est en constante évolution et il est possible d’en gravir les différents échelons. On peut voir des gentilshommes labourer les champs comme les paysans. Les seigneurs ne sont pas tous des nobles. Le seigneur est un contracteur en peuplement. Son rôle est de développer un territoire qui lui est assigné au risque de le perdre s’il ne s’en occupe pas activement. Les nombreuses difficultés dans le développement de l’agriculture sont dues à la préférence des Canadiens pour la ville. En 1754, un quart de la population est urbaine.


En réalité, il y a deux classes sociales : l’élite dirigeante des fonctionnaires, du clergé et des seigneurs d’une part et la masse du peuple d’autre part. L’élite est française, tandis que le peuple est Canadien d’origine. Il n’y aura pas ici, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, une classe moyenne.


Une autre marque de la société canadienne a été l’importance de l’Église. Le gouvernement de la colonie a passé, mais l’Église est demeurée même après la conquête. Sous le régime de Mgr Laval, l’ultramontisme fut intégré à l’Église locale. Mgr Laval est connu pour ses nombreuses querelles avec différents gouverneurs et intendants, mais il fut aussi un bâtisseur. En plus d’ouverture d’écoles, il encourage fortement la formation d’un clergé canadien. Les idées de Mgr Laval ont joué un rôle essentiel dans l’histoire de la Nouvelle-France. Son désir de subordonner l’État à l’Église, son autoritarisme se sont perpétué chez ses successeurs qui ont profité du prestige et de la volonté du premier évêque de la Nouvelle-France. La Nouvelle-France est donc différente de la métropole. Ainsi, le père Charlevoix, jésuite, qui visita deux fois la colonie déclarait : « ... l’exemple et la fréquentation de ses habitants naturels (les autochtones)les incitent à mettre tout leur bonheur dans la liberté et l’indépendance... »


Pour le jeune Bougainville qui vient à Québec comme aide de Montcalm il déclare au sujet des différences entre Français et Canadiens : « il semble que nous soyons d’une société différente voir ennemie...» Encore : « On s’est peu occupé de l’éducation de la jeunesse qui ne songe qu’à s’adonner de bonne heure à la chasse et à la guerre... ». Il ajoute : « mais il faut convenir que malgré ce défaut d’éducation les Canadiens ont de l’esprit naturellement et parlent avec aisance même s’ils ne savent pas écrire». Division et dissension entre Canadiens et Français règnent jusqu’à la victoire de Wolfe.


Pour certains historiens, comme Maurice Séguin, le temps de la Nouvelle-France est la seule époque de son histoire où le séparatisme s’enracine dans la réalité. À ce sujet, il dit : « Pendant plus de 100 ans les Canadiens d’origine française vivent seuls dans un état séparé » .Il est certain que pour lui le Canada de 1750 ne possède pas tout ce qu’il faut pour parvenir à l’indépendance. Le Canada avait besoin des capitaux, des colons et des techniques de la France pour continuer son développement économique qui le conduirait un jour à sa souveraineté.


Alors que les Canadiens pratiquent la guerre à l’Amérindienne et parfois dans un certain désordre, les Français favorisent la guerre à l’européenne en rangées... Dans les faits, l’Angleterre veut contrôler l’Amérique et y a mis le prix, tandis que la France a une politique à courte vue en s’intéressant davantage aux commerces du poisson et celui des fourrures. Les gens d’ici ont un territoire, des fermes, une manière de vivre et une certaine uniformité de la langue, tandis qu’en France il existe plus de 35 provinces avec des langues bien différentes ainsi que des coutumes distinctes.


Déjà en 1663, la Nouvelle-France compte 1200 personnes nées ici sur une population totale de 2500 blancs. Ces individus sont avant tout des Canadiens qui commencent à s’adapter à l’immense territoire de la colonie. Ils se déplacent en canots, utilisent la raquette et profitent d’une grande liberté qui leur donne un caractère bien spécial. L’intendant Hocquart trouve le Canadien « naturellement indocile » et se différencie bien clairement du Français. La stratégie militaire est différente et sera cause de discordes lors de la Conquête

En somme, le Canada de 1760 est bien différent de la France, autant par ses coutumes que sa langue et sa façon de guerroyer. Il a d’une façon embryonnaire toutes les composantes d’une société et d’un état en devenir. Le manque de soutien de la mère patrie et l’effort considérable de l’Angleterre au niveau militaire donnent à l’aventure française en Amérique une fin qui est prévisible.



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