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De la conquête à la rébellion de 1837 et l’affirmation du sentiment national des Canadiens français



La question de la langue

L'Acte de Québec


La période de 1760-1840 marque la formation de l’esprit nationaliste et les premiers pas d’une nation en devenir. Nous étudierons cette période clef de notre histoire à travers l’homme qui a marqué cette époque : Louis-Joseph Papineau. Auparavant, nous devrons mettre en perspective le contexte social et politique de l’après Conquête. La conquête britannique marque le début de la lutte des Canadiens pour la conservation de leur langue, leur religion et leurs lois civiles. La classe marchande désire l’anglicisation de la population canadienne alors que les administrateurs s’aperçoivent rapidement que cela n’est pas possible, du moins à court terme. Pour certains, la conquête est un bienfait qui a permis à notre peuple de connaître la démocratie, alors que pour d'autres, elle signifie le repli sur soi. Il faut ajouter que l'ignorance des techniques agricoles nouvelles allait amener les Canadiens vers l’épuisement du sol et à la crise agricole dès la première moitié du XIXe siècle.


Les Canadiens sont confrontés au développement d’un patriotisme qui se développe instantanément avec la défense de la foi et de la langue, dès le début de l’occupation anglaise. Dans la capitulation de Montréal, on assure aux Canadiens la possession de leurs biens et le libre exercice de la religion catholique romaine en autant que le permettent les lois anglaises. Or, nous savons que les lois anglaises n’autorisaient pas le libre exercice de la religion catholique. De plus, une ruine économique apparaît rapidement. En effet, le roi de France s’était engagé à rembourser aux Canadiens les payements faits en billet d’ordonnance. Une fois le traité de Paris signé par la France, les lettres de change détenues par les habitants ne furent jamais honorées, causant la ruine de plusieurs Canadiens en particulier chez les marchands et la petite noblesse. L’économie passe alors aux mains des marchands anglais, et cela pour plusieurs siècles.


Bien sûr, Murray, premier gouverneur après la Conquête, reçoit des instructions bien précises afin de n’admettre aucune juridiction ecclésiastique venant de Rome. En juin 1760, la Nouvelle-France n’a plus d’évêque, donc il est devenu impossible d’ordonner de nouveaux prêtres. Aux yeux des autorités britanniques, cela devait favoriser éventuellement la religion protestante. Le clergé canadien fait multes requêtes pour l’élection d’un évêque. Un premier candidat, le sulpicien Montgolfier, est suggéré au gouverneneur Murray qui refuse sa candidature. On remplace Montgolfier par le vicaire général, Mgr Briand. Il s’agit maintenant de le faire d’accepter par les autorités britanniques, ce qui n’est pas une mince affaire.


Après quelques années d’attente, Londres propose de reconnaître Mgr Briand comme Supérieur majeur de l’Église du Canada. Par contre, on lui fait savoir qu’il peut s’absenter et aller se faire consacrer évêque en France. Tout le monde se réjouira du fait accompli. Le 19 juillet 1766, Mgr Briand prend officiellement possession du siège de Québec. Le sacre de Mgr Briand ne signifie pas la fin de toutes les difficultés de la religion catholique. En effet, Mgr Briand est sur très haute surveillance. Entre autres, la nomination des curés est soumise à l’autorité du gouverneur qui veut contrôler toutes les actions importantes du Surintendant.


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La question de la langue


Toute aussi importante que la question religieuse est celle du maintien des lois civiles françaises. Les Canadiens préfèrent les lois criminelles anglaises, mais désirent conserver les lois civiles régissant les droits de propriété et de succession. Carleton, gouverneur du Québec en 1766, demande au roi de conserver pour le moment des lois canadiennes. Vers 1770, les principaux juristes demandent le retour aux lois civiles françaises. C’est finalement avec l’Acte de Québec de 1774 que sont résolus les problèmes de la religion et des lois civiles.


Cependant, les autorités britanniques ne renoncent pas pour autant à l’assimilation des Canadiens qui devraient se faire par l’arrivée massive des nouveaux immigrants anglophones. Carleton se rend compte rapidement que l’arrivée d’une immigration massive anglaise n’est pas pour demain. Pour leur part, les Montrealers demandent une Chambre d’assemblée à la condition d’être les seuls citoyens éligibles. Les autorités britanniques étudient différentes possibilités en rejetant l’exclusion complète des Canadiens. Pour les Montrealers ( groupe de marchands anglais de Montréal qui s’unissent pour la défense de leurs intérêts économiques), il est évident que seuls les protestants devraient être élus à cette Chambre. Les circonstances (la révolution américaine) vont bientôt obliger le gouvernement anglais de prendre position sur les problèmes canadiens. Il est certain que l’Angleterre va mettre à contribution les vaincus en leur imposant une contribution pour fournir du bois et de la paille nécessaires à la bonne marche de la nouvelle armée. Il leur est de plus défendu de conserver leurs fusils. La sagesse exigeait que le gouverneur se montre bienveillant envers la population canadienne et qu’il fasse un effort pour la garder au pays.


Lord Egremont, au nom du roi, écrit au gouverneur : « le bon plaisir du roi est que vous réitériez instamment aux divers gouverneurs de suivre les voies de la conciliation....de se servir des moyens les plus efficaces pour que les habitants français soient traités avec douceur et humanité». Murray et Amherst essaient d’aider les familles les plus démunies, qui sans l’aide des autorités anglaises, auraient connu la famine. Le commerce intérieur est déclaré libre par la capitulation de Montréal. Le peuple se remet au travail. Ce n’est que quelques années plus tard que les grands combats pour la survivance vont commencer.


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L’Acte de Québec


La révolution américaine va donner une deuxième vie aux Canadiens. En effet, l’Angleterre utilise la manière forte contre ses colonies américaines. Mais la crainte que la population francophone soit tentée de se joindre aux insurgés l’incite à donner suite à leurs nombreuses suppliques. En 1774, l’Acte de Québec est voté par le Parlement de Londres. Par cet acte, Londres accorde aux Canadiens les lois civiles françaises et une certaine reconnaissance de la religion catholique. Les plus favorisés sont les seigneurs et les membres du clergé. Mais quelles sont les principales composantes de l’Acte de Québec? Le territoire est agrandi. Il comprend un vaste espace qui s’étend du Labrador jusqu’aux Grands lacs. En ce qui concerne la religion, l’Acte de Québec soumet la religion à la suprématie royale. Le fameux serment du Test, qui empêche les catholiques d’accéder à la fonction publique parce qu’il exigeait de renoncer aux principales croyances de la religion catholique, est remplacé par un serment d’allégeance au roi. L’autorité et le champ d’action de l’évêque et des membres du clergé sont restreints au seul secteur de la pratique religieuse. Les lois civiles françaises sont remises en vigueur. Cependant, la distribution des nouvelles terres se fera selon la méthode de franc et commun socage, c’est-à-dire sans redevance annuelle. Finalement, seules les lois criminelles anglaises sont admises.


Au niveau de l’administration, l’Acte de Québec prévoit un Conseil législatif de 23 membres nommés par le roi. Globalement, la Grande Chartre des droits des Canadiens français n’est qu’une concession que l’on veut limiter dans le temps. Dans l’ensemble, l’Acte de Québec est bien reçu par les Canadiens. L’évêque ne cache pas sa joie et sa satisfaction. Les seigneurs, pour leur part, sont très satisfaits puisqu’ils conservent tous leurs privilèges.



Les Américains veulent délivrer toute l’Amérique du Nord de la tutelle anglaise. Ils désirent par les armes et la publicité inciter les Canadiens d’adhérer à leur cause. Deux armées envahissent le Québec : l’une par la rivière Chaudière, l’autre par le Richelieu. La mise sur pied de milices dans la province de Québec devient indispensable. Le gouverneur Carleton demande et reçoit l’appui empressé de l’évêque de Québec, Mgr Briand. Mais les Canadiens se montrent peu empressés à se mobiliser pour repousser l’ennemi.Ils fournissent même aux Américains des vivres, en autant qu’ils sont payés en espèces sonnantes. L’évêque de Québec menace d’excommunication ceux qui appuient les Américains. Après la chute du Fort Saint-Jean, Montréal est prise par les Américains en novembre 1775. Pendant ce temps, l’armée d’Arnold (général américain qui envahit le Canada par la rivière La Chaudière) arrive péniblement devant Québec. En décembre 1775, les soldats des deux armées se retrouvent près de Neuville. Le siège de la ville de Québec se termine par un échec.


L’arrivée d’importants renforts anglais oblige les envahisseurs à quitter rapidement le Québec. Les autorités civiles et religieuses décident par l’intermédiaire de commissaires enquêteurs de punir ou de récompenser les Canadiens selon qu’ils ont appuyé ou non les britanniques. L’autorité civile peut toujours compter sur le clergé pour ramener les Canadiens à des sentiments de loyauté envers l’Angleterre. Le calme revient graduellement dans la province de Québec et les Canadiens retrouvent leur sentiment de soumission tant aux autorités civiles que religieuses.


Pour plusieurs, la Conquête est providentielle, en ce sens qu’elle nous donne la démocratie avec une Chambre d’Assemblée dès 1791 et surtout pour le clergé une liberté de religion pendant qu’en France la Révolution apporte un climat très anticlérical. 1791 marque une étape importante dans l’affirmation de l’identité nationale. En effet, pour la première fois les Canadiens peuvent élire des députés qui sont en mesure de légiférer en leur faveur, puisque l’Acte constitutionnel sépare le territoire en deux parties, l’une avec une majorité anglaise, le Haut-Canada, et une autre avec une majorité francophone qui sera le Bas-Canada. Rapidement, les députés du Bas-Canada s’aperçoivent que le pouvoir réel est entre les mains du gouverneur et des membres du Conseil législatif dont il nomme les membres. Frustés, les Canadiens forment le Parti patriote dirigé par Louis-Joseph Papineau. Après 1760, on a d’un côté une population dont 95% sont des francophones relativement pauvres qui luttent pour leur survie physique et culturelle et de l’autre côté, des anglos protestants, dont plusieurs commerçants à l’aise qui veulent tout diriger.


Avant 1760, les Canadiens vivaient séparés de la mère patrie et développaient une personnalité originale. Politiquement, comme toutes les autres colonies, leur territoire était une province sous la juridiction d’une métropole dont le pouvoir un jour aurait cessé si la métropole avait réussi sa colonisation. Cependant, les Canadiens en 1760, sont loin d’avoir développés toutes les ressources de la vallée du Saint-Laurent et ne sont pas les maîtres d’une industrie et d’un commerce bien structurés. Donc, le Canada avait besoin de capitaux et des techniques de la France ou d’autres pays. Avec une métropole française, il y avait la possibilité de devenir un état français. Pour plusieurs historiens, dont Maurice Séguin, la conquête de 1760 est un désastre majeur dans l’histoire du Canada français, une catastrophe qui arrache cette jeune colonie à son milieu protecteur naturel. Pourtant, entre 1763 et 1837, le Canada français pourra se permettre une singulière aventure séparatiste, la première du genre sous la domination britannique. Toute une série de circonstances vont favoriser ce phénomène :

-la guerre de l’Indépendance américaine

-le lent peuplement anglais dans la vallée du Saint-Laurent

-la division de la province de Québec en deux États distincts complètement séparés au niveau administratif.

-l’introduction du régime parlementaire avec une Chambre d’assemblée où les Canadiens français forment la majorité des députés.


De 1763 à 1837, les Canadiens vont élaborer une théorie de la «nation canadienne» de ses droits et des rapports avec la Grande-Bretagne. Ils tiennent à demeurer une majorité, mais acceptent une minorité britannique. Ils ne peuvent tolérer de voir l’autorité anglaise organiser l’immigration dans le but de noyer les Canadiens français. Le nationalisme politique se complète d’un nationalisme économique. L’Assemblée législative veut limiter les profits des capitalistes étrangers.


Par contre, ce refus de devenir Américains est aux yeux des Canadiens un sentiment que la Grande-Bretagne doit encourager pour éviter que les États-Unis dominent toute l’Amérique du Nord. À cette époque, les Canadiens ne visent pas l’indépendance immédiate, mais se contenteraient d’un statut de protectorat britannique. La minorité britannique, représentée par les Montrealers, proteste avec force contre l’Angleterre qui se laisse impressionner par la majorité et l’ancienneté du Canada français. Ils ne veulent pas se soumettre à une majorité canadienne française à l’intérieur d’une colonie britannique. Le Bas-Canada britannique a conscience d’être la clé, le centre, le coeur de tout le système British North American et refuse d’être annexé au Canada français. Le Haut-Canada n’est pas non plus intéressé à voir s’édifier une république canadienne française entre son territoire et l’Atlantique. La solution qui s’impose pour les Britanniques est de réparer les erreurs de 1791 en regroupant les forces anglaises du Bas et du Haut-Canada. Une majorité française est la cause de tous les maux.

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