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Louis-Joseph Papineau jusqu'à 1837


La constitution de 1791

Les 92 Résolutions




Papineau chef des patriotes (1786-1872)


Parlons d’abord du père de Louis Joseph, puisque le sort de ses deux personnages sera intimement lié durant une période cruciale de notre histoire. Joseph Papineau, fils d’un tonnelier est envoyé au séminaire de Québec grâce à l’intervention d’un prêtre. Il y fait d’excellentes études et entre au bureau d’un géomètre-arpenteur pour y faire son apprentissage. En 1773, il est reçu arpenteur. De plus, il devient notaire l’année suivante. Il a comme clients des communautés religieuses ainsi que le Séminaire de Québec qui lui confie l’administration de deux seigneuries qu’ils tiennent de Mgr Laval: celles de l’Île Jésus et de la Petite-Nation sur la Rive-Nord de la rivière Ottawa. En 1779, il épouse Rosalie Cherrier, fille du notaire de Saint-Denis-sur-Richelieu. Il aura dix enfants dont Louis-Joseph, né en octobre 1786. En 1802, Joseph Papineau reçoit en paiement des sommes qui lui sont dues comme notaire les 3/5 de la seigneurie de la Petite-Nation et fait l’acquisition de l’autre partie.


La constitution de 1791


La constitution de 1791 est à la base de la formation d’un esprit très nationaliste chez la petite bourgeoisie canadienne-française. Elle divise le Québec en deux provinces : le Haut-Canada à l’ouest, où les loyalistes dominent, et le Bas-Canada à l’est, majoritairement canadien-français. Chacun des territoires aura sa législature comprenant une chambre élue par le peuple et un Conseil dont les membres sont nommés par la couronne. La population du Haut-Canada est de 40 000 habitants pendant que celle du Bas-Canada est de 150 000. Le Conseil exécutif comprend neuf membres, dont quelques Canadiens. Le Conseil législatif est composé majoritairement de conseillers anglais, tandis que les Canadiens sont choisis parmi les seigneurs et les bourgeois les plus dociles. Joseph Papineau est élu député lors de la première élection de 1792.


La question de la langue est cruciale et marque le début d’un combat qui perdurera. Après maintes discussions, on trouve un compromis en proposant que les procès-verbaux soient rédigés dans les deux langues. Pendant que Joseph Papineau décide de faire lui-même la mise en valeur de sa seigneurie de la Petite-Nation, il laisse à son fils Louis-Joseph l’aspect politique.


En effet, Louis-Joseph est élu le 18 juin 1808 dans le comté de Kent et commence ainsi une longue et tumultueuse carrière politique. Déjà les passions politiques apparaissent. Dans les autres provinces comme au Québec les réformistes demandent le principe de la responsabilité ministérielle. La réponse du gouverneur Craig ne se fait pas attendre. Brusquement, il annonce la dissolution de la Chambre. À la nouvelle législature, Joseph Papineau siège à côté de son fils comme membre de l’Assemblée. Les débats ont pour unique sujet le contrôle du budget. Le Gouverneur désire un vote global d’approbation des crédits de la couronne. L’Assemblée veut contrôler les dépenses. De plus, la Chambre vote une loi rendant les juges inéligibles. À nouveau, Craig dissout la chambre. On en est à la troisième élection en dix-huit mois. Le gouverneur demande l’appui du clergé dont il surestime l’influence. L’opposition revient plus forte. Au bout du compte, la loi sur l’inégibilité des juges est votée par les deux Chambres. Craig démissionne et retourne en Angleterre. Partout dans les colonies anglaises ce sont les mêmes demandes qui se manifestent : la responsabilité ministérielle, l’autorisation de la Chambre pour tout emploi de fonds publics, la fin des privilèges de l’Église anglicane, etc.


Puis, c’est l’invasion ratée des Américains au Canada. La bataille de Châteauguay permet à un canadien, Salaberry, de s’illustrer. Montréal est sauvé et Salaberry, commandant des troupes canadiennes, devient un héros. Les Canadiens français ont joué dans cette guerre un rôle essentiel. Louis Joseph devient le chef incontesté de la majorité parlementaire. En avril 1818, Louis-Joseph Papineau orateur de la Chambre et seigneur de la Petite-Nation se marie à Julie Bruneau. La question budgétaire revient à l’ordre du jour à la session de 1819. Pendant que l’administration souhaite le vote d’une liste civile pour la vie du roi, les députés réformistes sous l’influence de Papineau demandent de voter un budget annuellement. Le gouvernement manque de fonds pour l’administration courante. Papineau demeure le chef incontesté des Canadiens français et sa lutte pour la reconnaissance des droits de la Chambre devient celle de tout un peuple.


Le nouveau gouverneur Dalhousie propose à Papineau de devenir membre du Conseil exécutif. Papineau refuse et voit dans cette offre une tentative pour ruiner son ascendant sur les membres de la Chambre. Il fait prendre conscience à ses compatriotes de leurs droits et de leur force. Dalhousie demande à la Chambre de voter les subsides en bloc et pour la vie du roi. Papineau défend le contrôle par l’assemblée du budget, ce qui lui donnerait le contrôle de l’administration.


Mgr Lartigue est sacré évêque. Il administre la région de Montréal qui n’est pas encore reconnue comme diocèse. Papineau, qui a un fond d’anticléricalisme, croit cependant que la religion et le clergé sont étroitement incorporés au tissus canadien-français. Devant l’impasse, le 18 février 1822, le gouverneur proroge à nouveau la Chambre et appelle de nouvelles élections.


Pendant ce temps, les membres du Comittee of Trade font plusieurs demandes au roi : abolition de la tenure seigneuriale, la confiscation des biens du Séminaire ainsi que l’union du Haut et du Bas-Canada où la minorité anglophone serait majoritaire à la Chambre d’Assemblée. En somme, la majorité anglophone ne veut plus être soumise à l’oligarchie française de l’Assemblée du Québec. Le projet de loi et sa teneur parviennent au Canada en septembre 1822. Il produit un choc chez les francophones qui se sentent menacés pour leur religion et leur langue. Une pétition est envoyée au gouvernement de Londres dans laquelle on exprime l’idée que la constitution de 1791 permet la réforme de tous les abus. Quant au différend entre le Haut et le Bas-Canada, il pourrait être réglé par arbitrage. Mgr Lartigue met tout son prestige dans la balance pour lutter contre le projet d’union. Les Canadiens français ressentent un danger face à ce projet de loi et pas moins de 60 000 signatures sont réunies dans la pétition au roi. Le comité anti-unioniste envoie une délégation de trois personnalités importantes à Londres pour présenter la pétition et défendre les droits des Canadiens français. Papineau accepte de diriger la délégation. Elle est entendue et le projet de loi n’est pas mis en vigueur, du moins pour l’instant.


Le gouverneur Dalhousie continue d’approuver le projet d’interdire l’usage de la langue française à la Législature. Papineau est pour le moins aussi agressif et il critique sévèrement le gouverneur et les dépenses somptuaires de son gouvernement. En dernier lieu, le bill des subsides est adopté et voté pour un an, mais avec une réduction de 25%. La session se termine avec la bataille sur le contrôle intégral du budget par l’Assemblée. Après un voyage à Londres où le projet d’union lui est refusé, Dalhousie est de retour et reprend sa fonction. À la session de 1826, le bill des subsides est à nouveau rejeté. La majorité des députés est galvanisée par Papineau et exige le contrôle intégral du revenu public. L’animosité entre Papineau et Dalhousie atteint son paroxysme à la session de 1827 où la Chambre, dominée par Papineau, refuse à nouveau de voter le budget.


Dalhousie réagit avec promptitude en venant proroger à nouveau la Chambre. Aux élections, c’est une lutte à finir entre Papineau et le gouverneur. Les partisans de Papineau prennent le nom de patriotes. Papineau sort vainqueur encore une fois aux élections.

En novembre 1827, l’antagonisme se poursuit entre Papineau et Dalhousie. En effet, Papineau est réélu président de la Chambre à la consternation du gouverneur, qui somme les députés d’élire un nouveau président. La Chambre se mobilise et refuse l’ultimatum du gouverneur. Devant ces faits, le gouverneur proroge à nouveau la Chambre et appelle de nouvelles élections. Toute la province est en ébullition. Une pétition est envoyée au roi dans laquelle on dénonce Dalhousie. En mai 1828, le secrétaire des Colonies propose à la Chambre la formation d’un comité où on conviendrait d’accorder des droits à l’Assemblée sans méconnaître ceux de la Couronne. Le comité siège jusqu’au mois de juillet. Sur l’essentiel, le comité donne raison aux réformistes. Il recommande entre autres que la perception et les dépenses de tous les revenus publics soient sous le contrôle de la Chambre d’Assemblée. De plus, il demande à l’administration de la colonie de faire en sorte que les Canadiens d’origine française ne soient pas troublés dans l’exercice paisible de leurs lois et religion. Dalhousie est nommé commandant militaire en Inde.


L’administration du nouveau gouverneur Kempt s’annonce plus paisible. En effet, ce dernier reconnaît Papineau comme orateur de la Chambre. Le budget est finalement voté et Papineau doit enfin admettre la bonne volonté du nouveau gouverneur. Pendant ce temps, dans le Haut-Canada, Mackenzie critique le monopole de l’Église anglicane et demande le gouvernement responsable.


Le bill des fabriques oppose le clergé aux réformistes dont Papineau se fait le porte-parole. Il vise essentiellement à donner aux propriétaires d’une paroisse le contrôle sur son budget. Ce droit fondamental des propriétaires terriens qui payent la dîme provoque chez le clergé une opposition farouche. L’Église refuse tout contrôle de l’État sur les paroisses. Papineau joue de son influence et entraîne ses partisans à voter le bill. L’affaire prend une importance nationale. Les patriotes exigent la participation des notables aux assemblées de fabriques où la coutume voulait que ce soit les marguilliers en place qui nomment leurs successeurs, un genre de «Family Compact» comme dans le Haut-Canada. Ce projet de loi est important dans l’histoire du XIXe siècle, parce qu’il contribue à la méfiance du clergé à l’égard des réformistes. Le clergé agit auprès du Conseil législatif. Ce dernier renvoie finalement l’adoption du bill aux calendes grecques et ce, au grand soulagement du clergé.


Papineau rentre en conflit avec le Conseil législatif qui s’oppose très souvent aux projets de loi venant de la Chambre d’Assemblée. En effet, il n’a pas pardonné au Conseil le rejet du bill des fabriques. Il désire ardemment rendre le Conseil législatif électif. Ce dernier est outré par les articles parus dans la Minerve et le Vindicator qui appuient les demandes des réformistes sur son élection. Le Conseil législatif ordonne l’arrestation des propriétaires des deux journaux qui sont sermonnés et envoyés en prison jusqu’à la fin de la session. La session est prorogée le 25 février 1832. Cette session est importante, puisqu’un fossé existe désormais entre le clergé et le Parti des patriotes. De même, le parti se divise entre les radicaux représentés par Papineau et certains députés plus modérés regroupés autour de John Nelson.


À l’élection de Montréal-ouest, de violentes confrontations ont lieu. La loi de l’émeute est rapidement proclamée et l’armée intervient. Au bout du compte, des coups de feu sont tirés et cinq personnes sont abattues dont trois trouvent la mort. Il y a des assemblées de protestations un peu partout et les esprits sont échauffés. C’est à ce moment qu’une catastrophe s’abat sur le Bas-Canada. En effet, l’Angleterre envoie entre 20 000 à 30 000 émigrants vers le Canada. Ce sont surtout des Irlandais extrêmement pauvres. En juin 1832, un premier cas de choléra est rapporté. Des centaines de décès sont enregistrés. La population est affolée. Papineau accuse le gouvernement d’être responsable de l’épidémie parce que, sous la pression des marchands, il a refusé de renforcer les règlements de la quarantaine. Un sentiment de révolution se développe dans le district de Montréal. À la fin de l’épidémie en août, la population demeure très secouée. Cet état d’esprit annonce des temps troublés pour l’avenir.


À la session de 1833, le contrôle du budget et l’élection du Conseil législatif constituent toujours les principales demandes de Papineau. La façon de contester de Papineau consiste à voter un bill des subsides tel que le rejet par le Conseil exécutif soit inévitable. Comme prévu, le Conseil refuse de voter ce bill. Il n’y a donc pas de budget forçant le gouverneur à faire toutes sortes de manoeuvres pour faire fonctionner l’administration. Une crise majeure s’annonce à court terme. Papineau continue sa campagne contre l’administration à travers le Bas-Canada.Partout, il est reçu comme un héros, il triomphe. Papineau réclame toujours essentiellement la responsabilité ministérielle, le contrôle intégral du budget par la Chambre et l’élection des conseillers législatifs. Il possède un pouvoir absolu sur ceux qui l’entourent.


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Les 92 Résolutions


En 1834, les demandes des patriotes sont codifiées dans un document connu sous le nom des 92 Résolutions. Ces demandes sont adoptées par la Chambre d’assemblée. Elles contiennent les éternelles demandes des réformistes sur les pouvoirs de la Chambre d’assemblée. On se plaint de «l’infériorité politique» des Canadiens français et on demande plusieurs changements sur l’ensemble de l’administration. Papineau prend le leadership du combat qui s’annonce. Les résolutions sont adoptées par 56 voix contre 23.

Les 92 Résolutions établissent directement la doctrine du Parti des patriotes. Les chefs des patriotes lancent une campagne qui doit couvrir toute la province. De plus, la Chambre refuse à nouveau de voter le budget. On assiste donc à la paralysie de l’administration du Bas-Canada. Le 24 juin 1834, la fête nationale des Canadiens français est instituée lors d’un célèbre banquet de la Saint-Jean-Baptiste.


Les élections, de 1834 deviennent celles des 92 Résolutions. Une nouvelle vague de choléra vient accentuer le mécontentement contre le gouverneur et son administration. Toutefois, aux élections, les réformistes remportent une victoire éclatante en faisant élire 77 députés contre 11 pour leurs adversaires. Les nouveaux députés patriotes sont en général jeunes et d’ardents partisans de Papineau et souvent anticléricales. Lord Aylmer sait qu’une crise est éminente. La Chambre refuse toujours de voter le budget. Bientôt elle est elle-même victime de ses actions, puisqu’elle doit demander une avance monétaire au gouverneur pour continuer à fonctionner. La session traîne en longueur et est pratiquement paralysée. Aylmer n’a plus le choix et en vient à proroger la législature le 18 mars 1835.


À Saint-Denis, c’est un Canadien anglais, le Dr Wolfred Nelson, qui devient l’âme dirigeante du mouvement patriote et révolutionnaire. Entre temps, Aylmer est rappelé et un nouveau gouverneur, Lord Gosford, est nommé. Ce dernier accepte certaines demandes des 92 Résolutions, sauf celles jugées primordiales par Papineau comme l’élection du Conseil législatif et le contrôle complet du budget par la Chambre d’assemblée. Le gouvernement nomme deux commissaires qui avec Lord Gosford reçoivent pour mission de formuler des recommandations pour régler si possible la situation politique dans les deux Canadas. Il ne faut pas oublier que le climat est également tendu dans le Haut-Canada. Gosford promet une complète impartialité dans la distribution des postes qui seront attribués selon le mérite et non la nationalité. Pendant ce temps, Mgr Lartigue, évêque de Montréal, refuse que les questions ecclésiastiques soient soumises à la Chambre. Mais comme il existe de multiples questions où la collaboration entre le clergé et le gouvernement est inévitable, Mgr Signay croit que l’on doit participer à des échanges avec la commission. Dans le Haut-Canada, Mackenzie, à l’instar de Papineau, refuse de reconnaître la commission d’enquête.


Le mouvement réformiste fait du bruit non seulement au Canada, mais également en Angleterre et même en France. Les assemblées se multiplient. Partout, les orateurs dénoncent les traîtres à la cause et font proclamer Papineau comme le sauveur de la nation. La bataille fait également rage dans le Haut-Canada où les réformistes dirigés par Mackenzie réclament le gouvernement responsable. Gosford, sur les instructions de Londres, convoque une session spéciale en septembre 1836. Le seul but de cette session est le vote des subsides pour le paiement des fonctionnaires. La Chambre bien que courtoise envers le gouverneur reste fidèle aux 92 Résolutions. Les réformistes présentent un bill rendant le Conseil législatif électif. Le 4 octobre, le gouverneur n’a d’autre choix que de proroger encore une fois la Chambre. Le gouvernement est laissé pour une quatrième année sans le vote des subsides.


Le rapport des commissaires dirigé par Gosford est présenté le 2 mars 1837. Les demandes de la Chambre se résument ainsi:


-L’élection du Conseil législatif

-La responsabilité directe du Conseil exécutif devant la Chambre

-Le contrôle absolu par la Chambre de tous les revenus de la province.

Le rapport conclut qu’accorder ses demandes équivaudrait à créer une république française au Canada. Le gouvernement anglais répond par l’intermédiaire de Lord Russell, ministre de l’Intérieur

Ce sont les 10 Résolutions Russell dont les plus importantes sont:

-La quatrième, qui repousse le principe d’un Conseil législatif électif

-La cinquième, qui ne reconnaît pas la responsabilité ministérielle

-La huitième, qui autorise le gouverneur à prélever sur le revenu de la province le montant requis pour payer les arrérages dus aux fonctionnaires et ce sans l’autorisation de la Chambre.

On a donc refusé l’essentiel de la demande des réformistes.


Les esprits s’échauffent et Adam Thom organise un corps de carabiniers pour défendre les intérêts de la Couronne britannique qu’ils jugent en danger dans le Bas-Canada. Ce groupe deviendra le Doric Club. Papineau dénonce avec force la formation de ce groupe de paramilitaires. Entre temps, les réformistes continuent dans une atmosphère survoltée de réclamer le contrôle de tous les subsides dont le gouvernement a besoin.


Le gouvernement anglais sent la crise venir et nomme, Sir John Colborne, le lieutenant-gouverneur à poigne du Haut-Canada, comme commandant en chef des forces armées. La violence se prépare des deux côtés. Les subsides sont votés que pour six mois. Le gouverneur ne contrôle plus les évènements. Le Conseil législatif rejette presque tous les bills venant de la Chambre. Le gouverneur est forcé à nouveau de proroger la Chambre en mars 1836.


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