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Lionel Groulx




Lionel Groulx (1878-1967)


Lionel Groulx (né en 1878, mort en 1967) a joué un rôle déterminant dans l’histoire de notre nation. Considéré comme notre premier véritable historien, il pratique plusieurs genres littéraires: essais, romans, mémoires, correspondance, etc. Il intervient dans plusieurs dossiers de son temps : langue, survivance, relèvement économique et social, rôle de l'État et réforme de l’enseignement. Il se dresse contre les puissants et dénonce le colonialisme. Il est une des figures dominantes du XXe siècle au Québec.


Pour Lionel Groulx, la jeunesse est l’espoir du renouveau en comparaison des notables installés qui représentent la routine. De plus, il contribue à attirer l’attention de ses contemporains sur l’importance de l’État. En effet, il souhaite que l’État intervienne davantage. C’est sur lui qu’il compte pour promouvoir l’affirmation nationale des Canadiens français. Selon cet historien, la création d’un État français est indispensable. Il espère pouvoir édifier cet État français à l’intérieur du cadre de la Confédération quoique, vers la fin de sa vie, il est plus ouvert à l’idée d’indépendance.


L’État français est réalisable en autant que la province de Québec et son gouvernement puissent exercer l’ensemble des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution de 1867. D’autre part, il faut que les partenaires canadiens-anglais acceptent d’entrer dans un partenariat binational. Si ces deux conditions ne peuvent être remplies, on devrait alors envisager la réalisation d’un État français hors de la Confédération.


Les idées de Groulx sont très mal reçues au Canada anglais. On le considère comme un extrémiste. Toutefois, même s’il est considéré par certains comme un prophète, son influence immédiate est assez limitée. Pour Groulx, à la naissance du Canada il y a la France et l’Église catholique. La religion est la valeur suprême. Son nationalisme se comprend à l’intérieur de ses croyances catholiques qui définissent son idée de la mission du Canada français. En même temps, Groulx considère l’économie comme un élément important de la société. Il faut en effet, réunir des conditions minimales de prospérité pour que la nation canadienne-française puisse s’épanouir. Il constate que l’industrialisation et l’urbanisation de notre population accroît sa prolétarisation. Il croit fermement à uneclasse d’entrepreneurs canadiens français. Il compte sur l’État pour contrer le capitalisme britannique ou américain. Pour lui, l’État doit être un guide. Son programme économique complète ses préoccupations sociales.


Groulx applaudit à l’affirmation nationale, mais déplore la laïcisation qui vient avec la Révolution tranquille. À ses yeux, un pan important de l’identification canadienne-française disparaît avec la laïcisation du Québec. Pour l'historien, la nation est essentiellement une communauté historique et culturelle. Il n’a donc pas une idée raciale de la nation. Il estime, comme beaucoup d’autres personnes de son temps, qu’une civilisation peut être supérieure à une notre, mais non une race. Tout en faisant des mises en garde contre certaines institutions juives, Groulx va souligner la solidarité économique juive. C’est donc une réaction essentiellement défensive qui va dans le même sens que les milieux économiques anglophones de l’Ontario et de l’Ouest canadien à l’époque.


Le chanoine Groulx est le maître à penser qui a le mieux reconnu le rôle de l’État dans l’affirmation nationale. Son nationalisme est, à ce point de vue, beaucoup plus moderne que celui de Bourassa. Son affirmation de la nation est contemporaine, parce qu’elle intègre le politique et le territorial.


De plus pour lui, la part des hommes et des femmes qui ont façonné la Nouvelle-France est déterminante. On réfère ainsi à Madeleine de Verchères, Jean Talon, Mère d’Youville, Champlain etc.Ces personnes se caractérisent par leur volonté et leur don de soi. Malgré un contexte hostile, c’est à eux et à ses habitants que l’on doit la fondation de la Nouvelle-France. En effet, il ne faut pas oublier la dureté du climat, la négligence de la France envers sa colonie et la pression des colonies anglaises. L’histoire de la Nouvelle-France est celle d’une colonie qui doit compter que sur elle-même pour défendre un territoire vaste comme un empire. Malgré tout, la population croît et quelques industries se développent. L’Église demeure cependant le principal facteur d’unité de ce nouveau peuple. C’est encore à l’Église à qui l’on doit les principaux cadres sociaux: la paroisse, le système hospitalier et le système scolaire. Cette particularité de la Nouvelle-France se perpétuera jusqu’à la Révolution tranquille à peu de choses près.


D’après l’historien, la période essentielle de notre histoire est celle de 1760 à 1867. Malgré la volonté d’assimilation, le peuple canadien lutte pour sa survivance. Cette volonté de survie nationale explique la position des Canadiens français qui veulent abolir le régime colonial et réclame un système parlementaire associé à un gouvernement responsable. Il y a une nette volonté chez les Canadiens français de participer pleinement au pouvoir politique, considéré comme l’outil idéal pour protéger leurs intérêts économiques et la sauvegarde de la langue française.


Les Canadiens obtiennent en 1774 l’Acte de Québec, un régime parlementaire en 1791, le gouvernement responsable en 1848 et l’union fédérale en 1867. Mais il y a plusieurs évènements qui aboutissent à des luttes, entre autres la Proclamation royale de 1763 et surtout les défaites de 1837 et 1838.


La Confédération de 1867 assure sur papier une plus grande pérennité, mais les Canadiens français doivent continuer à lutter contre la volonté assimilatrice du Canada anglais. Suivant sa pensée, ce n’est pas le mythe du sang qui est le fondement de la nation, mais plutôt une culture unique basée sur la langue et la religion. Les nations n’ont pas seulement un destin, mais certaines ont une mission reçue par Dieu. C’est le cas des Canadiens français. En effet, la mission des Canadiens français est celle de faire vivre en Amérique du Nord une nation catholique.


Il est un homme triomphant et autoritaire, mais également une personne fragile envahie par un sentiment d’échec lorsqu’il constate le recul de l’Église dans la société. Il pense que les organisations d’actions catholiques et nationales forment un tout. Le catholicisme doit servir au développement du projet national et l’Église doit continuer à encadrer et diriger les sociétés. Les États et les nations dépendent directement de la Providence. Il est très déçu par la Révolution tranquille, lorsqu’il constate la désaffection massive des Canadiens français à l’égard de l’Église. Il revient constamment sur la mission des nations et celle particulière des Canadiens français en Amérique du Nord. Les Canadiens français ne doivent pas hésiter à défendre leur nation contre les Anglo-Saxons.


Du point de vue de Groulx, nous avons subi deux Conquêtes, celle des Britanniques suivie au siècle suivant par celle des Américains. 1760 a été une véritable catastrophe pour notre nation. Le Canada français a été durement frappé par cette guerre. Heureusement, le peuple a eu le clergé pour assurer sa continuité. L’historien va à l’encontre de l’idéologie du haut clergé, selon laquelle la Conquête a été un bouclier protecteur contre les idées de la Révolution française.


Les rébellions de 1837 et 1838 demeurent un épisode dans la grande bataille de l’affirmation nationale commencée en 1763. Durham reste le porte-parole de l’impérialisme anglo-saxon. La Confédération lui apparaît comme la suite de la Conquête. Selon Groulx, la Confédération est un pacte dont l’esprit a été sans cesse violé par les Anglo-Saxons. La centralisation qui se poursuit avec la Confédération cherche à assimiler les Canadiens français dans un grand tout anglophone.


L’industrialisation s’est faite trop rapidement et constitue une seconde conquête. Les Canadiens français ont laissé les étrangers développer les richesses naturelles. Il craint le dépeuplement des campagnes et surtout la prolétarisation des Canadiens français ainsi que l’invasion de travailleurs étrangers. Par-dessus tout, c’est le capitalisme américain et ses valeurs qu’il appréhende. Durant la seconde guerre mondiale, il se montre peu sensible au conflit européen. Son obsession demeure toujours au cours des années cinquante le «way of life» américain.


Il définit le peuple canadien-français comme manquant de confiance en soi et de sens national. Celui-ci doute continuellement de lui et de ses valeurs tout en ne s’affirmant pas suffissament. Voilà le constat principal de Groulx. Cette situation a-t-elle réellement changé ? On en doute. Il désire ardemment que les Canadiens français acquièrent ce sens de la nation qui seul pourra les sauver de la disparition collective.


Le mythe du grand chef venant sauver la nation est constant chez Groulx. Le chef c’est le principe de toute évolution qui permettra les suprêmes redressements. Papineau représente le modèle du chef qu’on devrait retrouver. Le chef est une personnalité, l’expression de la nation. Pour lui, seul un chef permettra à la nation de s’affirmer et d’exister. Mais qui sera ce chef ? Le peuple québécois n’est-il pas encore à la recherche de ce chef mythique ?


Il est convaincu que l’histoire nationale tient une place prépondérante dans le processus de la création d’une appartenance nationale. Par l’histoire, l’ensemble de nos traditions restera présent. En scrutant l’âme des ancêtres, elle donnera un sens au présent et à l’avenir, le passé continuant de vivre dans le présent par l’intermédiaire des traditions. Malheureusement, l’histoire n’est pas assez connue à cause d’un matériel déficient. Cependant, elle ne doit pas se limiter à la mémorisation d’évènements et de dates, mais à la compréhension des évènements et de leur conséquence dans notre collectivité.


Selon lui, l’éducation nationale devait être axée sur le catholicisme, la langue française, les humanités classiques et l’histoire. La pensée de Groulx lui a survécu bien que partiellement : Tout d'abord, la religion catholique est disparue comme élément essentiel de la nation et plusieurs historiens à la suite de Groulx, analysent l’histoire nationale selon différents points de vue. Ainsi pour Brunet, la Conquête est un désastre national, tandis que pour Frégault, la période de 1713-1744 a permis au Canada français de devenir un être complet, une nation nouvelle. Frégault comme Groulx croient à l’apparition d’une conscience nationaliste dès le XVIIIe siècle. Maurice Séguin croit que les Canadiens français formaient un peuple avant la Conquête. Les trois historiens considèrent l’existence d’une nation à la manière de Groulx. Pour d’autres idéologues comme Fernand Dumont, la langue devient un puissant instrument de libération collective. Elle permet d’intégrer des éléments nouveaux qui se sont ajoutés à la collectivité canadienne-française. L’histoire doit permettre la cohésion nationale. C’est donc la langue plutôt que la race qui est révélatrice de l’âme nationale.



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