Au temps de ma mère



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Le voisinage


Les terres sont disposées en forme de rang, de manière à ce que les habitations se trouvent disposées le long du chemin public chacune n'étant éloignée de sa voisine que de deux ou trois arpents. On a même à plusieurs endroits un rang double. Il en résulte le rapprochement d'un plus grand nombre de foyers. Le rang caractérise le Canada français. Au contraire de la France, les colons de la Nouvelle-France tenaient à résider chacun sur leur terre. Au début, les colons tenaient à s'installer le long du fleuve ou du cours d'eau. Dans cette contrée couverte de forêts, le fleuve était une grande route naturelle.


Tout au long du cours d’eau, on retrouvait en maints endroits des prairies naturelles où les bestiaux pouvaient se nourrir en attendant les premiers défrichements. Ce rapprochement des habitations permettait aux gens de s'assister les uns les autres dans les travaux pénibles de défrichement et de se porter secours en cas d'attaques des Iroquois. Chaque rang est relié par une route transversale où il n'y pas d'habitation. Entre voisins on se rend beaucoup de services.


On fait également des corvées. À la différence du coup de main, les corvées comprennent beaucoup de personnes et ont lieu surtout à l'occasion de travaux exceptionnels, par exemple la corvée de levage de la charpente d'une grange.


Chaque rang pourvoit à l'assistance des pauvres. C'est d'abord les parents et la famille du nécessiteux qui sont censés voir à son entretien, mais si la famille ne peut pas, c'est le rang alors qui s'en charge. Tous les six mois environ, on fait une tournée ou collecte au bénéfice des pauvres. La veille du Jour de l’An, c'est la traditionnelle «guignolée». Chaque rang a son école, sa fromagerie et sa croix du chemin. Le village est situé généralement au centre de la paroisse. Il contient une fromagerie beurrerie, quelques ateliers d'artisan, l'église, le presbytère, les demeures du médecin, du notaire et de quelques rentiers ainsi qu’un ou deux magasins généraux. En somme, la paroisse est comme une grande famille. Tous se connaissent et la plupart sont désignés par un surnom.


Au sein de cette paroisse agrandie, on distingue quelques personnes jouissant d'une réputation particulière de sagesse. Le notaire et le médecin exercent une large part d'influence, mais le chef, le patriarche de cette grande famille est le curé. Il connaît tout le monde. Il partage la joie et les peines de ses paroissiens. Il s'occupe souvent du progrès matériel de ses ouailles. Il fonde parfois un cercle agricole pour aider au progrès des techniques agricoles. Son rôle est primordial dans la communauté. L'habitant regarde son curé comme son protecteur naturel. La coutume veut que le 26e enfant d’une famille soit à la charge du curé. Généralement, l'entente est parfaite entre le curé, le notaire et le médecin.


C'est un spectacle curieux le dimanche et les jours de fête que cette population d'hommes, de femmes et d’enfants débouchant sur la place publique, venant de tous les points de la paroisse. On y attache les chevaux à des piquets de bois disposés symétriquement. L'habitant rencontre ici ses connaissances. Il prête également l'oreille aux annonces du crieur public.