Au temps de ma mère



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Le curé de paroisse





Comme on le voit, le curé avait un rôle de premier plan dans une paroisse. Le monde rural, encore plus que l'urbain, subissait la dure poigne du clergé. Être nommé curé d'une paroisse pour tout prêtre séculier était peut-être le début d'une carrière prometteuse. Il fallait d'abord faire ses preuves comme vicaire dans une paroisse importante. Si on avait les aptitudes nécessaires, on pouvait aspirer à devenir, en premier lieu, curé d'une paroisse de moindre importance. La nomination dans une petite paroisse pouvait aussi signifier une rétrogradation, ou pour certains prêtres plus fortunés, mais aux compétences limitées, un endroit où les “placer". Saint-Marcel était une petite paroisse de 700 âmes avec des moyens financiers plutôt limités. Les curés qui s'y succédèrent furent généralement des curés bien nantis dont l'indépendance financière leur assurait une domination bien sentie sur la paroisse. Le curé vivait généralement dans un immense presbytère qui aurait pu contenir une famille d'une douzaine d'enfants. C'était la fierté de chaque paroisse de construire un manoir pour leur pasteur. Ce dernier y vivait avec sa ménagère qui assurait l'entretien domestique. On retrouvait également le bedeau qui, en plus de l'entretien de l'église, servait d'homme à tout faire du curé. Lui et sa famille vivaient dans la maison de la fabrique tout à côté de l'église. Son salaire était souvent très mince. Généralement, il faisait d'autres travaux pour les gens du village et de la paroisse.


Quel était le travail du curé d'une petite paroisse comme Saint-Marcel ? Selon mes souvenirs d'enfance, je le voyais très souvent se promenant sur l'immense galerie qui faisait le tour du presbytère, lisant inlassablement son bréviaire. De plus, il célébrait la messe tous les matins, après quoi il recevait durant la journée quelques paroissiens ou paroissiennes venant le consulter sur toutes sortes de sujets. Souvent le curé était une des rares personnes ayant de l'instruction dans la paroisse, particulièrement là où on ne retrouvait ni médecin, ni notaire à demeure. La vie dans ce grand presbytère devait être bien ennuyante, ce qui incitait les commères du village à faire souvent des allusions sur les relations intimes entre le curé et sa ménagère. Que de “cancans" sont ainsi partis du village vers la campagne environnante ! Le curé de la paroisse devait également s’assurer que la morale de ses paroissiens serait correcte. Il intervenait régulièrement sur le nombre d'enfants de chaque famille. Si dans une famille on “sautait" une année, le curé s’imposait et demandait qu’on lui rendre compte. C'est ainsi, que mon grand-père se fit dire par son curé qu'il n'avait pas fait son devoir, ce dernier n'ayant pas eu de naissance dans sa famille depuis un an. Pourtant, il avait déjà douze enfants ! Ce n'était pas suffisant : encore et encore, voilà quel était le leitmotiv de l'Église et de son représentant, le curé. Il était le chien de garde de la tradition et de la survivance canadienne-française.


Le clergé pour ce faire contrôlait étroitement l'enseignement et les services de charité publique. Au pays du Québec, rien n’avait changé !


Les curés de Saint-Marcel, généralement à l'aise financièrement, possédaient une auto, ce qui suscitait à la fois la curiosité et l'envie des paroissiens lorsqu'ils voyaient leur pasteur se déplacer avec son automobile sur les routes poussiéreuses de la paroisse. Il se dirigeait généralement vers la ville de Saint-Hyacinthe où il pouvait trouver plus des distractions qu'à Saint-Marcel.


En effet, un dimanche après-midi dans le village de Saint-Marcel devait constituer une épreuve particulièrement éprouvante pour le curé qui s'ennuyait. Ainsi, le châtelain du presbytère quittait sa paroisse après la messe dominicale pour se diriger vers un endroit plus vivant. Avoir une cure assurait une sécurité d'emploi. En évitant les scandales, on pouvait avoir la paix. Malheur au curé qui négligeait cet aspect de la vie religieuse de la paroisse ! En un rien de temps, il pouvait tout perdre et finir sa carrière comme modeste aumônier d'un couvent de religieuses. Un changement de cure pouvait souvent étouffer le scandale et mettre fin à une controverse paroissiale.


Généralement, l'évêque du lieu soutenait bien ses prêtres. Certains diocèses avaient tellement de prêtres que des paroisses avaient deux ou trois vicaires à leur service. Aujourd'hui, on s'estime bien chanceux d'avoir un prêtre résidant.