Au temps de ma mère



accueil

suivant

précédent

Une journée de campagne électorale


L'été, au Québec, vers la fin juin ou le début juillet, c’était à tous les quatre ans la saison des élections. Cette coutume, particulière à Maurice Duplessis, était dans les campagnes un événement très important. Il y avait toute une série de soirées électorales d'une paroisse à l'autre que les “habitants" n'auraient pas voulu manquer pour tout l'or du monde. Des assemblées contradictoires étaient organisées où chacun des orateurs invectivait son adversaire de la plus belle manière. Un bon orateur devait savoir parler fort et avoir du coffre, comme on disait dans le temps. De plus, il devait être capable de dérider la foule en se moquant quelquefois cruellement de ses adversaires. Finalement, il fallait que ce soit un personnage sachant faire des promesses, qu'il s'empressait d'oublier l'élection passée. Les élections étaient le “sport" préféré des Québécois. C'était également l'occasion d'obtenir des faveurs. Le vote d'une famille nombreuse pouvait se monnayer contre bien des choses : un peu de gravier dans sa cour, un emploi comme cantonnier, et que sais-je encore !


On faisait boire gratuitement lors des assemblées de cuisines. Parfois des chicanes d'élections éclataient dans la famille lorsqu'un de ses membres ne votait pas du bon bord. On était bleu (Union nationale) ou rouge (libéral). Bien des curés, en remerciement à Duplessis pour les faveurs reçues, rappelaient à leurs ouailles que l'enfer est rouge et le ciel bleu. L'alliance de l'Église et de l'État ne dérangeait pas à l'époque. Les élections étaient une religion que l'on pratiquait avec beaucoup de plaisir et même de fierté. Aux discours électoraux il fallait ajouter le plaisir des discussions interminables sur les mérites de l'Union nationale ou du Parti libéral.


Je me souviens d'une réunion électorale assez inusitée chez mon oncle Louis qui habitait le 2e rang. Mentionnons qu'un personnage assez original logeait chez lui. C'était un itinérant de l'époque. Il vivait ainsi d'une famille à l'autre, rendant quelques petits services contre sa nourriture. Il habita quelques années chez mon oncle. Il se nommait René et souffrait d'une légère déficience intellectuelle. Contre une bouteille de bière, il pouvait exécuter les pitreries les plus drôles qu'on puisse imaginer. C'est ainsi qu'un dimanche après-midi, en pleine période électorale, mon oncle se mit dans l'idée de lui faire faire un discours électoral pour les quelques parents qui étaient là. Contre la promesse d'une grosse bière, René s'exécuta et montant sur le balcon avant de la maison, devant un auditoire improvisé, fit un discours dans la plus parfaite tradition électorale : “Mesdames et messieurs si vous vous votez pour moi je vous promets de la “gravelle" pour toutes les routes de la paroisse etc..."


René s’exécutait depuis une bonne demi-heure au grand plaisir de son assemblée qui l'encourageait par des cris persistants, lorsque du 4e rang trois ou quatre autos arrivèrent à toute vitesse. Ces cultivateurs du rang plus bas croyant en une assemblée non annoncée et entendant tout ce tintamarre voulurent se joindre à l'assemblée jusqu'à ce qu'il constate que la vedette n'était nul autre que RENÉ. Un éclat de rire général mit fin à cette réunion électorale bien pittoresque.


Mais la suite allait être encore beaucoup plus excitante pour le jeune ado que j'étais. Le soir des élections, l'Union nationale fut reportée au pouvoir par une majorité écrasante. Louis qui était un libéral perdit ses élections et se fit très discret ce soir-là. Omer, qui était un pince sans rire, eut l'idée d'aller faire brûler un bonhomme de paille devant la maison de Louis. C'était une coutume très répandue à l'époque. Nous partons donc mon oncle ma tante et moi.


À un demi-mille de distance de mon oncle Louis, nous laissons son auto sur le bord de la route et à pied nous continuons jusqu'à sa demeure. Rendu à destination, mon oncle eut l'idée de se rendre à la cabane de René et de lui faire une peur bleue. René demeurait durant l'été dans une cabane qu'il avait sommairement aménagée en logement. À mesure que nous approchions de la cabane, l'émotion montait. Un peu en retrait, l’oncle Omer s'avança et se mit à lancer des petites pierres sur la cabane. Tel que prévu, René prit peur et sortit en criant au secours. Il se dirigea vers la maison d’oncle Louis qu'il suppliait de lui ouvrir : “Pour l'amour du Christ, Louis ouvre-moi, ouvre-moi..." La pression devint encore plus forte lorsque le pauvre René vit le bonhomme de paille en feu vis-à-vis la maison de Louis. Il redoubla d'ardeur pour supplier Louis et Laurette son épouse de lui ouvrir. Celui-ci, à l'intérieur pas plus brave qu'il ne le faut, voyait bien que l’on se moquait de lui et refusait d'ouvrir. Finalement, après de longues minutes, il vint ouvrir et referma rapidement la porte. Pendant ce temps là nous reprenions rapidement le chemin du retour. Beaucoup plus tard, Louis apprit quels malfaisants lui avaient fait subir l'épreuve du bonhomme de paille. C'est une aventure que je ne suis pas prêt d'oublier ; que de plaisir on pouvait se faire à peu de frais !