Les deux crises de la conscription
En 1918, pendant que la guerre se continue toujours sur le front européen, le gouvernement appelle sous les drapeaux les recrues de catégorie B. Ce sont des hommes aptes au service militaire, mais inaptes au service actif des tranchées. Devant la résistance de la population du Québec, la police militaire part en guerre contre les déserteurs. On demande à la population de dénoncer les coupables. Plusieurs hommes ont été exemptés sous de fausses représentations. La police militaire fait des razzias pendant lesquelles on procède à un grand nombre d'arrestations. Ceux qui ne sont pas en règle sont amenés au manège militaire où ils sont obligés de passer l'uniforme à l’instant. On a recours à des méthodes de recrutement inédites. Les représentants fédéraux engagent des indicateurs surnommés «spotters», chargés de repérer et de faire arrêter les hommes qui se refusaient à l'enregistrement et l'examen médical. Ces hommes partaient sans avoir le temps de faire leurs adieux à leurs proches. Une émeute éclate même à Québec. Résultat : quatre hommes sont tués par la troupe.
En plus de la conscription et de la censure, le rationnement fait son apparition. L'essence est rationnée ainsi que le beurre. Cependant, le 11 novembre 1918, l'armistice est signée. La guerre est terminée. Elle avait presque fait disparaître le chômage, une pénurie de main-d'oeuvre survenant en 1916. Les femmes et les enfants furent attirées en nombre croissant sur le marché du travail. Les salaires augmentèrent régulièrement pour presque toutes les catégories de travailleurs. À Montréal, un charpentier gagne soixante cents l’heure. Le coût de la vie va augmenter plus rapidement que les salaires, soit de 40 % entre 1915 et 1918. La livre de bifteck passe de vingt-quatre cents à quarante-sept cents en deux ans.
Dès que la guerre devient évidente, en 1939, les députés libéraux francophones prennent des engagements anticonscriptionnistes. King, Premier ministre du Canada, multiplie les déclarations contre la conscription. Le ministre Lapointe, bras droit de King, promet de démissionner si le gouvernement votait la conscription. Alors que dans plusieurs milieux anglophones on réclame un appui inconditionnel à l'Angleterre, bon nombre de francophones ne sont pas prêts à aller se battre outre-mer. Les jeunes nationalistes sont fortement contre la conscription. Plusieurs journaux francophones du Québec y vont aussi de leurs déclarations et demandent au gouvernement de ne pas commettre l'erreur d'imposer une loi qui, dans le passé, n'a causé que du mal. Le gouvernement se dit persuadé que les Canadiens sont prêts à faire tous les efforts possibles afin de défendre la liberté. Ernest Lapointe réitère sa position anticonscriptionniste. Duplessis, sentant la guerre venir, dissout la chambre et fixe les élections au 25 octobre 1939. Le ministre Lapointe plonge dans les élections provinciales. La conscription devient le thème majeur de la campagne électorale. Godbout, chef libéral, fait également une déclaration anticonsciptionniste. Le parti libéral remporte la victoire, soit 70 sièges sur 86.
Pendant ce temps, en décembre 1939, plus 7500 volontaires canadiens s'embarquent à destination de la Grande-Bretagne. La participation à la guerre des Canadiens s'est faite par des moyens insuffisants pour assurer la défense du territoire. Le 18 juin 1940, King annonce la déposition d'une mesure établissant le service militaire obligatoire en territoire canadien C'est la conscription, mais limitée...
En juin 1940, le gouvernement annonce que le service militaire devient obligatoire sur tout le territoire canadien. Le service outre-mer devient l'apanage des volontaires. De plus, King annonce qu'il y aura une inscription nationale. Comme il fallait le prévoir, une bonne partie de la députation québécoise à Ottawa dénonce cette mesure. À Québec, le débat s'engage sur une motion anticonscriptioniste du député Chaloult appuyée par Camillien Houde. Godbout essaie de démontrer son inutilité. Lapointe et King profitent des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste pour lancer un appel à la mobilisation. L'adoption de la loi établissant le service militaire obligatoire sur le territoire canadien suppose l'enregistrement de tous les hommes et femmes de 16 à 60 ans.
Les premiers appelés sous les drapeaux sont les célibataires et les veufs. Sont considérés comme célibataires ceux qui se marieront après le 15 juillet 1940. Commence alors la course au mariage. Plusieurs prêtres et pasteurs acceptent de marier les gens même à des heures indues. Camillien Houde, maire de Montréal, se déclare contre l'enregistrement national, une mesure de conscription. Il demande à la population de refuser de se conformer à cette mesure. Le lundi, 5 août, vers onze heures du soir, Camillien Houde est arrêté. Il est détenu au camp militaire de Petewawa en Ontario. Il est affecté à la coupe du bois et résiste à toutes les demandes de rétractation. Il y demeurera jusqu'à la fin de la guerre en 1944.