Au temps de ma mère



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La maîtresse d'école


La maîtresse d'école jouait un rôle important dans la collectivité québécoise. Trois de mes tantes furent maîtresses d'école : Réjeanne, Lucille et Odile. Les deux plus âgées pratiquèrent leur métier à divers endroits. L'école du 4e rang était située sur un terrain fourni par un ancêtre des Saint-Martin. Aussi, elle me semblait vieille et usée par le temps. Elle comprenait une classe où les maîtresses donnaient leur enseignement avec une tribune à l'avant, un tableau noir, des livres et des pupitres usagés. Tout y était vieux et peu invitant. À côté de la classe, on retrouvait la chambre de la maîtresse. Généralement, cette dernière ne servait pas, les maîtresses du 4e rang préférant prendre pension chez l'habitant. À ma connaissance, mes tantes n'y enseignèrent pas. Ils allèrent plutôt dans les autres rangs ou paroisses environnantes.


À Saint-Marcel, on retrouvait 5 écoles de rang : celle du haut du 4e rang et celle du bas ; dans le 2e rang, c'était la même chose et finalement l'école du bord de l'eau. Il y avait en outre le couvent du village tenu par des religieuses. Ce dernier recevait des pensionnaires et les élèves de la huitième et neuvième année (filles). L'école de rang dispensait l'enseignement de la première à la septième année. Ceux qui avaient le bonheur de terminer la septième étaient rares et c'étaient généralement des filles. Dans nos campagnes, on avait besoin d’une nombreuse main -d'oeuvre. Les garçons ne faisaient guère plus que la cinquième ou sixième année. D'ailleurs, au temps des semences comme au temps des récoltes, ils devaient laisser l'école pour aller travailler aux champs.

Les filles devaient aider leur mère à élever la famille qui souvent augmentait d'un enfant par année. Rapidement la mère devenait débordée, car en plus d'élever sa famille, elle devait travailler aux champs. Il en fut ainsi pour ma mère qui dut abandonner ses études à l'école du village. Étant la fille aînée, elle se devait de venir prêter main forte à sa mère. Elle ne put finir sa neuvième année, ce qui après quelques examens lui aurait donné droit d'enseigner. Ses trois soeurs cadettes, pour leur part, furent plus chanceuses, terminèrent leurs études et purent enseigner.

Les maîtresses à l'époque étaient peu payées mais très appréciées. C'était une vocation. Elles devaient enseigner quelques fois à vingt-cinq élèves avec sept niveaux différents. C'était tout un exploit. À chaque année, il fallait soit renouveler le contrat de la maîtresse, soit en chercher une nouvelle. Cela donnait lieu à tout un marchandage. Souvent les paroisses les mieux nanties pouvaient se payer de meilleures maîtresses. Le salaire pouvait aller de 250 $ à 300 $ par année. En plus de son enseignement, elles devaient entretenir l'école et en hiver la chauffer au bois. C'était la misère. Les maîtresses Saint-Martin semblaient avoir bonne réputation, car durant l'été plusieurs commissaires d'école de paroisses environnantes venaient faire des propositions à Lucille et Réjeanne. Souvent, on y mettait un peu plus d'argent lorsque la tâche était plus lourde avec une école surpeuplée. C'est ainsi que tante Réjeanne fut invitée à aller enseigner dans les Cantons de l'Est. Il semble qu'on avait de la difficulté à y recruter une enseignante. On lui offrit sans doute un bon salaire et de bonnes conditions, car elle laissa l'école du 2e rang qui avait peu d'élèves mais une petite paie pour aller s'installer à West Shefford. C'est d'ailleurs là qu'elle prit mari et s'installa sur une ferme de cette paroisse où les anglophones étaient nombreux.


Chacune de mes tantes fit carrière pendant quelques années, se maria et abandonna finalement la profession. Souvent les enseignantes quittaient leur profession pour aller travailler en usine où les salaires étaient bien meilleurs. Il est ainsi facile de comprendre le retard du Québec en éducation. Les priorités étaient ailleurs. Un peuple ignorant est plus facile à gouverner.