Au temps de ma mère



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La vie quotidienne dans un village québécois





À cause d'une faible santé, je fus envoyé, dès mon bas âge, durant les vacances d'été à Saint-Marcel. Pour moi, c'était la grande liberté, le grand espace. À mon arrivée, en juin, la récolte des foins commençait. L'outillage pour faire les récoltes était très rudimentaire et n'avait pas évolué depuis près de cent ans. Ainsi, toute la famille devait être mobilisée. Il y avait la grande “charrette" où s'entassait le foin que l'on récoltait dans les champs. Avant cette opération finale, on avait déjà fauché le foin à l'aide d'une immense faux mécanique tirée par deux chevaux. Après le fourrage était ramassé à l'aide du râteau. Ce curieux instrument de plusieurs pieds de long tiré par un cheval permettait de récolter le foin en empilant çà et là des tas. Après chaque voyage, cueilli manuellement, on se rendait à la grange où à l'aide d'une grande fourche tirée par deux chevaux on déchargeait le foin dans la tasserie. Voyage après voyage,on procédait à la récolte du fourrage pour nourrir les bêtes durant l'hiver.


Le soir, après une journée harassante, il y avait le traditionnel chapelet en famille où, épuisée par une longue journée de labeurs, toute la famille marmonnait des formules et des mots sans en comprendre le sens. Tout allait bien jusqu'au moment où un ou deux membres de la famille se mettaient à rire on ne sait trop pourquoi... Alors, le fou rire général se répandait à travers l'assemblée malgré les avertissements répétés du grand-père. Une fois ce cérémonial religieux obligatoire effectué, on était libéré et chacun se rendait à l'extérieur autour de la maison. Une immense galerie faisait presque le tour de la maison. On y retrouvait de longs bancs sur lesquels on prenait place. Le silence de la campagne était remarquable, seuls quelques grillons faisaient entendre leurs grésillements. À part cela, rien... la paix. Quel contraste avec la ville, même peu trépidante, qu'était ville Saint-Laurent. Nous respirions profondément cette quiétude nocturne. Puis, doucement, quelques lampes à l'huile s'allumaient et là, dans la pénombre, les ombrages diffus venaient manifester la présence de la famille dans la cuisine. De bonne heure tous allaient se coucher fatigués après une longue et dure journée.


Dès la barre du jour, la vie reprenait son cours. On devait en premier lieu traire les vaches. Cette opération nécessitait une main d'oeuvre matinale et habile. Il n'était pas facile d'éveiller tout ce petit monde. Les gars en particulier se faisaient tirer l'oreille jusqu'à ce que les appels répétés du grand-père finissent par être entendus. Une fois le train complété, il fallait acheminer le lait vers la laiterie du village. Généralement, les voisins se partageaient la tâche à tour de rôle. Lorsque celui de mon grand-père venait, je faisais partie du voyage. Pour se rendre au village situé à 5 km de là, il fallait emprunter une route de terre que chaque cultivateur riverain se chargeait d'entretenir quand il en avait le temps et le goût. Nous prenions une route pleine de trous et de bosses. Avec beaucoup de difficultés, notre véhicule tiré par un cheval se dirigeait à travers la campagne vers le village. Nous saluions au passage tous les voisins. Mon grand-père était heureux “d'exhiber" à tout venant son petit-fils. Après une heure de route, nous atteignions finalement le village. Ce dernier était constitué de deux artères principales en forme de croix. En arrivant du 4e rang, nous prenions la descente qui faisait face à l'église. Nous y retrouvions quelques maisons habitées principalement par des retraités plus fortunés ; la forge, centre important de réparations de tous genres ; la fromagerie où on retrouvait également le bureau de poste ; et un peu plus loin, tout juste face à l'église, le magasin général centre névralgique du village. À l'arrière du magasin général, il y avait d'immenses hangars où s'entassaient des poches de grain et toutes sortes de produits. Dans la cour, nous retrouvions plusieurs poteaux où les cultivateurs venaient attacher leurs chevaux. À l'intérieur s’empilait un assortiment complet de marchandises : des bottes de caoutchouc, les “overalls", le matériel à la verge, le comptoir à bonbons etc. Des bancs, où les cultivateurs et les villageois qui venaient s’informer sur les dernières nouvelles du jour, étaient à la disposition des clients. Face au magasin générale, on retrouvait l’église. Elle trônait sur le village flanquée sur sa droite d'un immense presbytère et sur sa gauche de la salle paroissiale, lieu de réunions pour certains événements spéciaux. Plus loin, toujours sur la gauche, on pouvait apercevoir le couvent-école dirigé par une communauté religieuse. Sur une petite rue près de l'église, nous retrouvions un deuxième magasin général plus petit et plus familial où mon grand-père aimait se rendre à l'occasion. Bien sûr, il y avait la centrale téléphonique, lieu névralgique des télécommunications. Il pouvait y avoir dix abonnés sur une même ligne. Tous savaient par le nombre de coups de la sonnerie à qui l'appel était destiné. Il fallait décrocher avec précaution si on voulait écouter. Les commères en faisaient leur occupation favorite. De temps à autre, lors d'un événement important, la centrale faisait un appel général en sonnant de longs coups. À ce moment, tous décrochaient et écoutaient le message.


La vie du village c'était tout ça et bien d'autres choses. Mais, pour la jeunesse marcelloise c'était bien peu. Les jeunes gens, du moins ceux fréquentaient les jeunes filles, allaient avec de beaux équipages bien entretenus au village voisin, Saint-Guillaume. Sorte de chef-lieu, on y retrouvait deux hôtels, lieux par excellence de perdition aux yeux des autorités religieuses de l'époque. À Saint-Marcel, il n'y avait même pas de restaurant digne de ce nom.