Au temps de ma mère



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Des fréquentations sous haute surveillance



Les fréquentations qui sont la marque d'un engagement plus profond commencent avec les visites régulières d'un garçon au domicile de l'élue de son coeur. Dans les milieux ruraux, il arrive que des jeunes gens se présentent pour « veiller » dans une famille où il y a une jeune célibataire sans avoir d'abord obtenu son consentement. L'initiative d'engager des relations sérieuses revient surtout au garçon. Les convenances exigeaient que les filles ne fassent pas trop montre d'empressement à se faire courtiser. De peur d'être laissées pour compte, certaines jeunes filles hésitent à repousser un garçon qui ne les intéresse qu'à moitié. Ces derniers, par contre, peuvent facilement rompre avec une fille lorsqu'ils sont attirés ailleurs.


Les parents de la jeune fille surveillent de près les fréquentations sérieuses. S'ils ne connaissent pas sa famille, ils voudront savoir s'il est prêt à s'installer sur une terre ou s'il a un emploi régulier qui lui permettra de faire vivre sa femme. Si le prétendant paraît peu convenable, d'un milieu social différent ou d'une famille peu recommandable, les parents peuvent tenter de convaincre leur fille de rompre ou tout simplement interdire les visites. Habituées à se soumettre à l'autorité parentale, les filles finissent par céder même si parfois elles continuent de voir leur amoureux en cachette pour finalement le marier une fois devenues majeures. Quand les parents sont d'accord avec le choix de la jeune fille, les visites se poursuivent sous haute surveillance. Il s'agit d'empêcher tout élan qui pourrait conduire à des «privautés» ou pire encore, à des relations sexuelles et une grossesse. Les veillées au salon se font rarement en tête-à-tête. Les couples ne peuvent sortir sans être accompagnés par un frère, une soeur ou des adultes. À la rigueur, des amis leur sont imposés comme chaperons qu'ils aillent au cinéma ou faire une promenade. Bien sûr, on peut compter, parfois, sur la complicité des amis pour obtenir quelques moments d'intimité. Un fait demeure, le jeune couple est toujours en présence d'un tiers. C'est seulement après les noces que les amoureux pourront dire : « enfin seuls! ». En général, les jeunes filles ne se laissent pas entraîner sur la pente dangereuse des baisers et des caresses. Les jeunes filles ignorent tout de la sexualité, mais les parents à mots couverts leur font comprendre que si elles cèdent à certaines avances, elles courent le risque d'être cataloguées parmi les filles «faciles» et d'être abandonnées.


L'omniprésence de la famille durant les fréquentations, l'absence d'intimité portent à conclure que les jeunes s'engageaient dans le mariage sans beaucoup se connaître. Pour les jeunes filles qui avaient moins de latitude que les garçons, le grand amour n'était pas toujours au rendez-vous. Le mariage était souvent envisagé comme une nécessité économique. Se marier et fonder une famille était la seule garantie de succès d'une ferme ou le seul moyen de survivre dans un contexte industriel où les salaires sont très bas. Le grand amour faisait souvent place la tendresse !


Les années 1930 se caractérisent par un processus d'affranchissement de la relation amoureuse où le couple est distinct de la famille. À la fin du 19e siècle et au début du 20e, l'expérience amoureuse est fortement liée à la parenté et à la famille. Les parents jouent le rôle d'entremetteurs, d'informateurs et de garants de la légitimité de l'amour. Aimer c'est aussi partager la famille de son conjoint. La fréquentation, les fiançailles et le mariage sont définis par le contexte familial. L'amour entraîne l'intégration à une famille. Il s'agit d'un événement qui loin de mettre en contact que deux individus, implique deux familles. À partir des années 1920, le rapport amoureux est lié à la création d'une famille «autonome» dont les liens avec la famille d'origine seront vécus sur un mode différent. Au sein du foyer, il n'est plus question de la parenté élargie. La notion de foyer relève d'une définition de la famille plus restreinte. Cette fois, la religion permet à la fois de comprendre l'amour puisque Dieu en est l'origine et le terme. La religion assure une légitimité à l'amour. L'autorisation de Dieu vient en quelque sorte suppléer à celle du père. Dans les années 1960, l'amour présuppose une prise de conscience individuelle. Cela s'observe notamment par le sens attribué aux expressions «mon amour» et «ton amour» qui désignent alors le partenaire comme tel et non plus le sentiment. Les enfants apparaissent en continuité, en extension de l'amour. Dans les années 1970, le rapport amoureux devient un projet individuel. La famille et la religion sont souvent vues comme des contraintes et on assiste à un retour de l'idéalisme romantique. Comme dans d’autres domaines, on retrouve cette conception moderne de l'individu. Il y aura des enfants dans la mesure où cela concordera avec ce concept.