Au temps de ma mère



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La vie au quotidien


Au Mont-Saint-Jean-Baptiste, nous avions l’avantage d'être un groupe restreint. Cela donnait à notre collège une dimension humaine beaucoup plus grande. Nous étions plutôt une grande famille qu'un groupe de pensionnaires, comme nous le voyions dans les grandes institutions. Par contre, il y avait certains côtés négatifs à cette situation. Ceux qui aimaient le sport étaient très mal servis, notre institution étant sous équipée. Au niveau culturel, nous avions également peu d'activités d'offertes et notre bibliothèque était plutôt dégarnie. Tout cela importait peu pour moi ; la qualité de la vie communautaire était plus importante que tout le reste. J'avais connu une grande institution (le collège Saint-Laurent). Rien ne pouvait battre la vie quotidienne au Mont-Saint-Jean-Baptiste. On y retrouvait un sentiment d'appartenance qu'on ne pouvait sentir ailleurs.


L’avant-midi et l’après-midi s'écoulaient doucement dans ce coin tranquille de la campagne québécoise. Après les travaux manuels et la récréation qui suivait, nous retournions en classe pour un bon trois heures de cours. En fin d'après-midi, vers 4h nous avions droit à une autre récréation, puis c'était l'étude de nouveau pour une heure. Le souper se prenait vers 5h 30.


Une nouvelle et dernière récréation nous permettait par beau temps de faire une longue promenade à l’extérieur. Après quoi, nous retournions à la chapelle pour la prière du soir. Une dernière étude, raccourcie pour les plus jeunes, terminait une journée bien remplie. Tous les jours le même horaire recommençait invariablement. Suivant la coutume dans les collèges classiques, nous avions congé le mardi et jeudi après-midi. Que peut-on faire d’un court après-midi de congé dans un séminaire avec peu de moyens ? C'est ici que la découverte de la lecture prit tout son sens. Puisque nous avions beaucoup de temps libre, aussi bien le passer de la façon la plus agréable possible. Ceux qui ne savaient pas s'occuper d'une façon intelligente s'ennuyaient et partaient. La découverte de la littérature me fascina. En effet, malgré la pauvreté de notre bibliothèque, je fis la découverte de la série des “Biggles" et de la collection “Signe de piste...". Je dévorais les volumes les uns après les autres. Le monde du livre était entré dans ma vie pour toujours. Les années de pensionnat on put m’être supportable grâce surtout aux livres. Nous avions hâte de voir arriver notre après-midi de congé, où pendant quelques heures nous disposions de notre temps et pouvions faire selon notre volonté et nos goûts personnels. Je passai ainsi des heures inoubliables à la découverte de héros sympathiques dont la vie était remplie d’actions. Plus tard, je découvris quelques auteurs français qui n'étaient que tolérés par les autorités du séminaire. La censure catholique était vigilante et exerçait une autorité incontestée sur tous les livres de nos institutions catholiques. Tout auteur non agréé par l'Église pouvait être mis à l'index et interdit à tous les catholiques. Je lus ainsi les “Trois Mousquetaires" à peine toléré par le préfet qui avait charge de veiller à ce que nos lectures soient conformes aux diktats de Notre Sainte Mère l'Église. Malgré tout, le nombre de livres était suffisamment acceptable pour répondre aux besoins des pensionnaires de notre petit établissement. Recevoir le don de l'amour de la lecture est un bien précieux qui nous ouvre au monde infini des connaissances humaines.


Le samedi était une journée un peu spéciale : nous avions des cours jusqu'à trois heures de l'après-midi. Le dernier cours était suivi de la douche et du changement des draps. Ce rituel était accompagné d'une étude avant le souper. La “causerie" du préfet terminait la journée du samedi. Durant cet entretien hebdomadaire ce dernier nous entretenait de certains points du règlement ou sur tout autre sujet de notre vie quotidienne. Ce ne sont pas les sujets qui manquaient. Généralement, ce n'était pas trop pénible. C'était le début d'un congé le plus long de la semaine. Souvent le samedi soir nous avions des films à grands déploiements : “Jeanne D'Arc”, “The Student Prince", etc. Ces films étaient loués en collaboration avec l'autre pensionnat de Granby, celui des Frères du Sacré-Coeur. En d'autres occasions, le préfet négociait avec certaines compagnies de distribution pour avoir des films à prix abordable. Il est évident que nos règlements étaient plus souples que ceux du “juniorat” des Frères du Sacré Coeur. Certains de ces films furent visionnés à deux reprises. Le dimanche nous permettait à des occasions plus rares de revoir certaines productions intéressantes. Tous les films devaient avoir un niveau moral élevé. Pour certaines scènes plus “osées", le préfet mettait la main devant le projecteur. “Cachez ce sein que je ne saurais voir..." Cela fait bien sourire aujourd'hui, mais à l'époque c'était très sérieux. Autre temps, autres moeurs.


Le Jour du Seigneur était le jour par excellence. La nourriture était meilleure et nous avions plus de temps libres. Le lever se faisait plus tard; à 6 h nous devions être debout. Nous avions comme aux autres jours de la semaine une méditation matinale suivie du déjeuner, la messe étant plus tardive. Après le déjeuner nous avions une courte récréation, et là revêtus de notre plus beau costume (blazer et pantalon gris), nous assistions à la grande messe. Cette cérémonie religieuse durait environ une heure. Après quoi, nous avions du temps libre. C'est là que nous travaillons au journal étudiant où nous pouvions avoir un temps de lecture plus important. Le dîner du dimanche était le meilleur de la semaine. Lors de certains évèments importants nous avions droit à un menu de qualité supérieure. Les Soeurs de Sainte-Marthe, qui s'occupaient de la cuisine, faisaient ce qu'elles pouvaient avec ce qu'elles avaient.


L'après-midi était libre jusqu'à quatre heures. En hiver le temps était long. Nous avions souvent l'ennui comme partage. Mes parents n'ayant pas d'auto en assez bonne condition pour venir me voir, je n'eus droit qu'à quelques visites seulement au parloir. Alors, il fallait s'occuper et c'est ainsi que je m'initiai à la “grande musique".

À l'aide de disques et d'un phono portatif prêté par le préfet, quelques autres élèves et moi avons fait connaissance avec les grands compositeurs classiques : Bach, Beethoven, Mozart, Schumann, Berlioz et tous les autres.

Après la lecture, ce fut la deuxième grande découverte artistique. Pendant toute ma vie j'allais recueillir les bienfaits de cet amour de la musique. Le long après-midi du dimanche était un moment privilégié pour développer ce goût. Rien ne me disposait à la grande musique ou à la lecture dans mon milieu familial. J'en conclus que c'est quelque chose que nous avons d'une façon naturelle. Si ce goût n’est pas présent, rien ne peut être fait pour changer la situation.