Au temps de ma mère



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Le journal étudiant


Je fus pendant plusieurs années exempté des travaux manuels, car je m'occupais avec quelques autres élèves du journal étudiant. Que de bons souvenirs sont rattachés à cette fonction. Nous étions cinq étudiants à s'occuper de l'écriture, de la mise en page, de l'imprimerie (alcool ou à l'encre) et finalement l'assemblage. Un numéro pouvait comporter une vingtaine de pages. Nous écrivions sur toutes sortes de sujets avec la vision de nos quinze ans. Ce pouvait être des faits cocasses de notre vie étudiante, le cinéma, les livres, la vie quotidienne de notre pensionnat et la publication de quelques nouvelles. Je me souviens d'une série que j'avais intitulé “Quatuor” où en quatre épisodes je racontais une histoire d'espion russe très “pointue". J'ai conservé quelques exemplaires de ce journal étudiant dont nous étions tellement fiers. Plus que l'écriture, l'esprit d’équipe que nous avions développé était le plus important. Nous avions beaucoup de plaisir à travailler à la rédaction du journal pendant que les autres travaillaient aux travaux manuels.


Cela nous donnait un statut spécial. Souvent nous allions avec notre modérateur, correcteur et censeur, le père responsable de notre groupe, au cinéma à Granby. À l'époque (les années 50), c'était la période du cinéma à grands déploiements : “Ben Hur”, “The Robe”, “la Bible”. Ce furent les grandes productions de la période du cinémascope.


À ce sujet, un fait cocasse me revint à l'esprit : le préfet, qui était hollandais, avait une ouverture d'esprit beaucoup plus large et libérale. Par ailleurs le supérieur défendit de fréquenter les salles de cinéma. Le père Wiskam, le préfet, ne l'entendait pas de la même manière. Il adorait le cinéma et décida que défense ou pas, il irait voir le film “The Robe" qui venait de sortir. Il offrit au petit groupe de l'équipe du journal de se joindre à lui dans une folle équipée clandestine. Le supérieur étant retourné aux États-Unis pour quelque temps, il organisa à la barbe de ses confrères notre expédition. Le soir, au lieu de nous rendre au dortoir, nous nous sommes dirigés vers les garages. Là, avec l'aide du père Wiskam, nous avons poussé l'auto jusqu'à la route. Dans la plus grande clandestinité, nous avons atteint la ville de Granby où nous avons vu le film. Après la soirée, nous avons regagné le séminaire tous phares éteints... Cependant quelqu'un nous vit et s'empressa de rapporter la chose au supérieur dès son retour. Le père Wiskam fut sévèrement blâmé par le conseil (cinq pères formaient ce conseil, qui prenait toutes les décisions importantes sur l'administration du séminaire). On ne sut jamais ce qui se dit derrière les portes closes du bureau du supérieur, mais le père Wiskam se montra dorénavant très prudent dans ses agirs. D'ailleurs, ces jours comme préfet étaient comptés. On nomma un Franco- Américain qui ne fit pas tellement l'affaire. Définitivement, ce n'était pas un poste facile à combler. Le rôle du préfet était très important dans une petite communauté comme la nôtre. En fait, il était l'animateur de notre petit groupe d'étudiants. De lui dépendait la vitalité du groupe et le maintien d'un nombre acceptable d'étudiants, la concurrence étant très grande entre les différentes communautés religieuses.